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CORPS (notions de base)

Visibilité et discipline

Mais ce corps qui peut apparaître puissant quand on l’isole ne devient-il pas faible et manipulable dès qu’on le met en rapport avec les autres ?

Jean-Paul Sartre (1905-1980) insiste sur le fait qu’alors que nous nous percevons comme tout-puissants dans la forteresse de notre conscience invisible à autrui, nous tombons de notre piédestal dès que nous comprenons que les autres nous voient. En tant que conscience, je suis à l’abri du monde et des autres, mais le corps me rend vulnérable. Avec lui, je suis « dehors », à la merci du regard de l’autre et des jugements qu’il va opérer sur moi. Du fait de ma corporéité, je suis un objet parmi les objets, et j’en veux à autrui de me découvrir comme objet.

Dans une autre perspective, Michel Foucault (1926-1984) met l’accent sur la « discipline » que vont endurer les corps dans la Modernité. Son livre Surveiller et punir (1975) commence par la terrifiante description du supplice d’un dénommé Damiens sur la place publique en 1757. À cette « mise en scène » se substitue selon Foucault la discipline que les pouvoirs qui succèdent à la monarchie vont faire subir aux corps. Ceux-ci doivent être en permanence visibles, comme le sont les prisonniers enfermés dans le Panopticonimaginé par Jeremy Bentham (1748-1832), qu’un petit nombre de gardiens peut surveiller jour et nuit. Foucault considère que nos sociétés ont mis en place mille et une procédures de dressage. Écoles, prisons, casernes seraient les principaux lieux dans lesquels s’exerce ce pouvoir moderne sur les corps, ce pouvoir sans sommet qu’il est devenu impossible d’affronter dans la mesure où il n’est plus localisable.

Que l’on prenne en compte les réflexions de Jean-Paul Sartre ou les analyses critiques de Michel Foucault, ou que l’on se penche sur les investigations menées par de nombreux sociologues sur le caractère illusoire du « retour du corps » dans nos sociétés, on a le droit de se montrer sceptiques devant l’idée que nous nous serions enfin réconciliés avec nos corps après des millénaires de mépris de celui-ci. Le corps exhibé dans nos sociétés « libérées » fait peut-être illusion. Quant à l’objectivation du corps conduite par la science depuis lexviie siècle, qui s’amplifie avec les manipulations biologiques et les ambitions du transhumanisme prétendant « augmenter » notre nature, n’est-elle pas le signe d’une autonégation de la vie telle que la dénonce Michel Henry dans La Barbarie ? « Une vie qui se nie elle-même, l’autonégation de la vie, tel est l’événement crucial qui détermine la culture moderne en tant que culture scientifique. »

— Philippe GRANAROLO

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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