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CORPS Soma et psyché

Projet scientifique et distinction soma-psyché

Le problème du corps est, dans la culture occidentale, historiquement perverti par un très large contentieux philosophique dont la résolution, à en juger par ses effets, reste, à l'heure actuelle, encore bien incertaine. Ce contentieux, d'origine ancienne, touche non seulement au thème de l'opposition de l'âme et du corps et de leur séparation dans le cogito occidental, mais, de plus, au fondement d'une physique, d'une physiologie et d'une médecine qui prennent le corps comme objet de la nature ou font du soma l'expression d'une exclusivité objective, donnant un espace physique aux phénomènes (telles les maladies) dont le corps est l'objet. Parler de soma ou de somatique revient dans une acception devenue commune à souligner la possibilité d'un ensemble d'explications causales, de lois naturelles de fonctionnement après qu'ont été éliminées toutes les présuppositions attachées à une causalité psychologique. C'est, pourrait-on dire, sur un mode défensif et justificatif que le somatique est invoqué dans le sous-entendu de l'élimination d'une quelconque psychopathogénie. Les concepts de conversion somatique ou de somatisation appelés parfois à titre explicatif d'une limite du savoir d'un « somatique pur » cachent, sous leur satisfaction apparente, bien des ambiguïtés et des confusions.

Convenons que le problème du corps, pour être moins réducteur et limitatif que celui du somatique, déborde pourtant largement le cadre d'une interrogation philosophique. Dans la tradition qui va de Platon au cartésianisme, et sous les formes d'un positivisme biologique, cette interrogation sur le corps s'est présentée tant comme recherche de sa positivité organique que comme appréciation négative de son sens et de sa valeur au regard de la réflexivité intellectuelle, spirituelle et morale.

Définir respectivement soma et psyché et en établir les rapports dépend donc de la situation et de la forme de la question qui concerne le corps. Si cette question n'est pas prise dans sa portée anthropologique, elle bloque alors toute possibilité de sortir des dualismes traditionnels et elle facilite le jeu des théories parallélistes dont l'indigence et la naïveté scientifiques sont bien connues. Mais dire que la question est, dans sa nature, anthropologique, c'est reconnaître qu'elle concerne un acte de fondement (où soma et psyché ne peuvent même plus être pensés corrélativement), qu'elle met donc en cause un rapport de l'homme au monde (au sens que prend le Dasein chez Heidegger et Binswanger) et qu'elle conduit à réviser le rapport subjectivité-intersujectivité-objectivité (cf. le sens de cette problématique dans les Méditations cartésiennes de Husserl).

Les systèmes scientifiques ainsi que les conceptions philosophiques, l'espace idéologique (éthique, social, moral) dans lequel nous pensons fournissent les indices d'une situation de l'homme dans ses croyances, sa langue et sa culture ; et c'est dans cette situation qu'il appréhende et « expérimente » la vie de son corps, ses maladies, sa vie personnelle, ses réactions subjectives, etc. C'est donc dans ces conditions que la dichotomisation de la vie en somatique et psychique vient à se rapporter à l'ensemble d'un système de représentations, d'attitudes et de pensées qui porte le nom d'idéologie. Plus simplement, on pourrait dire que la distinction soma-psyché trouve ses corrélations ultimes et son ordre de raisons jusque dans l'organisation économique, sociale et politique de la cité. Aristote l'avait déjà pressenti lorsqu'il impliquait le rapport de l'âme au corps dans une théorie de la hiérarchie du libéral et du servile, de la nature et de l'art (cf. [...]

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Écrit par

  • : professeur de psychopathologie à l'université de Paris-VII, directeur du Laboratoire de psychopathologie, directeur de formation doctorale, chargé de mission pour la création de l'Institut interuniversitaire européen, codirecteur de la Revue internationale de psychopathologie

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