CORPS Soma et psyché
Fondements nouveaux d'une théorie du corps
On voit ainsi à quelle impasse conduit la légitimation scientifique positive d'une distinction entre soma et psyché, qui trouvait pourtant son fondement spécifique à l'intérieur d'une démarche métaphysique et morale. La positivité des savoirs physiologique et psychologique s'est constituée sur le principe des exclusions réciproques et des réductions complémentaires. Dans le même sens, on s'aperçoit que les conditions de légitimité théorique d'une psychosomatique sont d'autant plus incertaines que le projet lui-même de penser unitairement et intégrativement soma et psyché est compromis par leur distinction préalable, qu'aucun trait d'union ne pourra jamais venir annuler. Ceux-là mêmes qui appellent de leurs vœux une approche synthétique de l'être humain (dans ses aspects tout à la fois somatiques et psychiques, comme on dit) négligent de reconnaîtrent que la distinction entre le soma et la psyché relève d'un système de disjonctions qui se répercute jusque dans l'idéologie du savoir et dans l'institution (morale, juridique, sociale, professionnelle...) de ses pratiques et de ses techniques. En un mot, comment promouvoir une véritable psychosomatique, dès lors que celle-ci exigerait une réévaluation de la clinique médicale (cf. la notion de séméiologie) et surtout une réorganisation des fondements d'une théorie du corps et de l'organisme ?
Si une telle théorie est possible, elle emprunte nécessairement, afin d'éviter de tomber à nouveau dans un réductionnisme, des voies spécifiquement différenciées, dont la convergence ultime reste problématique. Par ailleurs, elle laisse s'épauler entre eux les divers savoirs présents à un projet anthropologique (linguistique, socio-ethnologie, biologie humaine et comparée).
On tentera ici d'indiquer selon quelles voies (non exclusives et non systématiques) une telle théorie peut en venir à définir sa prospective propre.
Tout d'abord, en cherchant, sur la base de ses propres découvertes, à se définir une nouvelle épistémologie, la biologie invite à prendre connaissance de ce qu'elle énonce en opérant une multitude de « décentrements » ; en témoignent, selon des perspectives différentes mais non contradictoires, des démarches réflexives comme celles de Goldstein et, à l'heure actuelle, de Jacob. Ces décentrements concernent des couples d'opposés au moyen desquels on acquiert une idée du somatique : ils conduisent, par conséquent, à enrichir la notion de soma en lui accordant une plus large extension, une plus grande généralité, et surtout le pouvoir de s'explorer scientifiquement d'autant mieux qu'elle perd jusqu'à son exclusivité notionnelle. Les profonds remaniements dont la biologie est actuellement l'objet et le souci qu'ont certains biologistes de repérer les connotations idéologiques de leur science ouvrent donc la voie à la possibilité d'une nouvelle théorie de la pratique médicale.
On remarquera, en deuxième lieu, que les falsifications physiologiques et psychologiques dont le problème du corps a été historiquement l'objet visent à se réduire et à s'annuler dans la perspective des recherches phénoménologiques dont le chemin a été tracé par Husserl. Avec la phénoménologie husserlienne, le corps ne peut plus être pensé indépendamment de la triple question de la constitution de l'Autre comme fondement du soi, de l'intersubjectivité comme condition de l'objectivité des phénomènes (le monde), de l'inhérence du corps à la découverte de la subjectivité et à sa temporalité. En se référant ici globalement aux travaux de Husserl, on indique la valeur d'un fondement théorique dont les effectuations concrètes empiriques se sont fait jour dans les recherches contemporaines de Binswanger, Straus, Gebsattel, Buytendijk,[...]
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Écrit par
- Pierre FÉDIDA
: professeur de psychopathologie à l'université de Paris-VII, directeur du Laboratoire de psychopathologie, directeur de formation doctorale, chargé de mission pour la création de l'Institut interuniversitaire européen, codirecteur de la
Revue internationale de psychopathologie
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