CORPS Vue d'ensemble
Les savoirs et les pratiques qui ont pour objet le corps – médecine, arts plastiques, sémiologie, anthropologie, psychanalyse – ont à se débattre, dans la culture occidentale, avec deux traditions philosophiques, la cartésienne et l'aristotélicienne, qui hantent ce qu'ils énoncent ou effectuent, et qu'ils tentent de surmonter sans toujours y parvenir.
Cette hantise est explicite pour les disciplines médicales ou paramédicales : les notions de schéma corporel et d'image du corps, la psychomotricité, la médecine psychosomatique, hésitent entre une perspective dualiste – dont Descartes a clairement donné les principes et qui seule permet de concevoir des relations de causalité entre psyché et soma – et une conception plus unitaire de leur objet, qui est tout aussi nécessaire, bien qu'elle démente la précédente, et dont le concept aristotélicien de la vie et de l'âme comme forme du corps organisé aurait donné les fondements. Les articles qui, ci-dessous, se rapportent à ces questions soulignent tous l'ambiguïté ou l'équivocité de ce statut du corps, dont l'analyse philosophique des notions de psyché et de soma donne les raisons.
Mais, plutôt que de se trouver confrontées à une inconséquence théorique ou à une aporie, lorsqu'il s'agit de préciser de quoi elles parlent, certaines disciplines contemporaines adoptent une autre stratégie, qui consiste à situer le corps humain parmi les phénomènes symboliques. L'anthropologie arrache le corps aux apories précitées en le dénaturalisant : faire apparaître des usages sociaux du corps, c'est le décrire comme l'un des points d'impact de l'acculturation, que l'on conçoit comme un phénomène de langage ou de division en classes. Cela impose pourtant qu'on se demande jusqu'où l'on peut aller dans cette assimilation du corps à un symbolisme social ou à quelque symbolisme que ce soit. De cette interrogation témoignent les articles sur la sémiotique du corps et sur le corps en psychanalyse. Pour un sémiologue, le corps peut être décrit comme signe, ou agglomération de signes, ce qui le rapproche mais aussi le distingue du langage comme système de signes : il peut intervenir comme élément d'un matériel signifiant, sans constituer lui-même un ensemble structuré. D'une autre manière, pour un psychanalyste, un écart subsiste entre l'analyse des signifiants du désir, qui suspend les réalisations, et les actualisations pulsionnelles symptomatiques et érotiques, ou les mises en scène esthétiques.
Les déplacements de la question du corps à travers l'anthropologie, les arts plastiques, la sémiologie ou la psychanalyse ne sont pas vains : toute dualité entre corps et langage n'est pas réduite par là, mais la dualité n'est plus alors métaphysique. À rapprocher ainsi le corps et les formations de langage, on triomphe d'une difficulté au moins, qui est héritée de la tradition philosophique.
En tentant de saisir le corps dans son rapport au langage et en le mesurant à celui-ci, fût-ce pour l'en distinguer, on cesse de prendre les actes dont il est partie prenante pour une connaissance confuse : si le corps ou quelque chose du corps reste impensé en philosophie, c'est, en effet, que toute philosophie, qu'elle soit aristotélicienne ou cartésienne, est un intellectualisme ; elle définit la pensée par l'une de ses formes – la connaissance – qui en serait l'idéal. Cela est incontestable dans le cartésianisme. Que toute idée soit mesurée à l'aune de la clarté et de la distinction signifie que toute conscience est connaissance, ou bien de l'esprit par lui-même, ou bien d'un objet hétérogène pour l'esprit : on peut bien penser par là les phénomènes cœnesthésiques, par exemple, qui sont une représentation confuse d'une affection de ce substrat qu'est le corps, mais on ne peut penser l'image du corps[...]
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Écrit par
- Monique DAVID-MÉNARD : professeur de chaire supérieure à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, psychanalyste
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