CORRÈGE (1489 env.-1534)
Les prémices de l'esthétique baroque
Les toiles religieuses, qui constituent un pendant plus calme à ses fresques fougueuses, montrent l'évolution de l'artiste vers une complication des visions obliques, placées dans des perspectives diagonales ; l'accentuation des recherches tonales est réalisée avec une perfection que Mengs définit comme l'« intelligence du clair-obscur ». Exemple parfait de la « troisième manière », selon Vasari, de cette modernité sensuelle de la morbidezza des chairs, Corrège cultive son tempérament voluptueux dans les « nuances suaves et tendres » (Stendhal) et excelle dans l'évocation du charme. Maître incontesté de l'expression des raffinements sentimentaux, sans pour autant tomber dans la mièvrerie, Corrège préfigure l'esthétique baroque (La Déposition de croix et Le Martyre de saint Placide et sainte Flavie, vers 1526, pinacothèque de Parme).
L'instabilité des poses est insérée dans d'étranges raccourcis de perspectives (La Madone de Saint-Jérôme, pinacothèque de Parme), l'agencement pyramidal de l'espace est comprimé et « travaillé » avec des moyens de pure virtuosité picturale. La marque toute personnelle d'un style gracieux se lit sur les visages des anges au sourire rêveur (Le Mariage mystique de sainte Catherine, 1526, Louvre). Oscillant entre la mode des nocturnes (L'Adoration des bergers) et le dégradé du crépuscule aux nuances d'émail, Corrège excelle dans les raffinements du clair-obscur, mystérieusement ambigu. Il exécute, pour Hercule d'Este, une dernière série de peintures mythologiques aux tons de pastel très nuancé qui annonce la qualité de l'œuvre de Chardin. Dans la Danaé (vers 1530, galerie Borghèse, Rome), on peut voir la recherche de l'impossible disparition de la matière, cet évanouissement proprement miraculeux des contours, auquel aboutit le nuage coloré de Jupiter dans Jupiter et Io(Kunsthistorisches Museum, Vienne). Corrège est le peintre de la volupté féminine que traduisent les arabesques des corps : l'esthétique du « sublime » est née avec l'affirmation d'une nouvelle sensibilité formelle qui s'opposait à l'intellectualisme florentin.
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Écrit par
- Andréi NAKOV : docteur en histoire de l'art
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