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CORRESPONDANCE 1919-1935 (P. Istrati et R. Rolland) Fiche de lecture

Les 320 lettres réunies par Daniel Lérault et Jean Rière dans cette Correspondance 1919-1935 (Gallimard, 2019) témoignent de la richesse de l’échange entre Panaït Istrati (1884-1935) et Romain Rolland (1866-1944). Entre le haïdouk, le bandit d’honneur roumain, et le prix Nobel français de littérature 1915, chantre du pacifisme, la relation s’impose d’emblée comme tumultueuse, bien plus que celle que Romain Rolland avait nouée avec Stefan Zweig. Ici, c’est le décalage qui fait tout le sel de la relation, une relation de maître à élève qui ira s’inversant jusqu’à la rupture.

« Vous seul pouvez me sauver… »

« J’appelle héros, ceux qui furent grands par le cœur. » Panaït Istrati entre dans cette catégorie définie par Rolland. Il va même jusqu’à le qualifier de « Gorki balkanique ». C’est d’abord un garçon de vingt-cinq ans, un lecteur de Jean-Christophe qui confie, lyrique, fouiller la vie, le monde et la pensée. Un fou de littérature aussi, qui apprend le français en lisant les classiques, dans la rue, dans une errance permanente. « Vous pouvez me sauver, vous me sauverez » écrit-il à Romain Rolland. Allant jusqu’à signer certaines lettres « votre fils Istrati », il ne va plus le lâcher, lui racontant sa vie dans des confessions violentes comme des fleuves. « Je vous écris parce que je ne peux plus tenir et parce que vous êtes l’unique point cardinal vers lequel ma pensée tourne incessamment. »

Romain Rolland répond en grand bourgeois et en professeur. Il le conseille, mais autant vouloir guider le vol d’un oiseau. Istrati abreuve son nouvel ami de lettres tumultueuses et Rolland finit par se prendre au jeu d’une complicité littéraire avec ce vagabond qui se brûle de misère et de mots. Il adopte la posture du mentor, mais se montre parfois agacé par la volubilité de son correspondant. « C’est un peu embarrassant d’avoir à se charger des affaires d’un autre quand on n’est pas soi-même très bon administrateur des siennes. » Il reste toutefois sensible au « feu divin de l’âme » qui se consume dans ses lettres. Istrati le sait et en rajoute : « Permettez-moi de vous reconnaître, vous regarder en face, vous tâtonnez (sic) un peu. » L’orthographe originale – respectée dans cette édition – est parfois aléatoire chez ce perpétuel clandestin. La grammaire est vagabonde elle aussi. Rolland le lui dit souvent. Istrati s’en moque. C’est la crue du langage qui compte et Rolland agit sur lui comme un grand déversoir où il se répand dans toute sa splendeur poétique.

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