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CORRESPONDANCE 1919-1935 (P. Istrati et R. Rolland) Fiche de lecture

Une amitié contrariée

Entre l'homme de lettres français et l'écrivain autodidacte roumain qui a la bougeotte, une amitié prend forme. « Où vous saisir, fol ami, qui ne cessez de faire la navette entre les quatre points cardinaux. Vous devriez bien m’indiquer l’adresse du mois ou de la quinzaine. Mais vous-même ne la connaissez pas… » Rolland finit lui aussi par se confesser, en 1928. « Vous me demandez, mon vieux, comment je fais pour trouver le courage de continuer à écrire ? Je trouve mon courage en un dégoût du monde et une solitude plus brûlants, plus poignants que les vôtres. » On sent déjà poindre l’agacement. Il va percer après ces mots d’Istrati : « En ce moment, j’aime bien me démolir. » Rolland est agacé par ce mouvement perpétuel. « Ne pouvez-vous arrêter un peu pour haleiner ? Ce n’est pas nécessaire, de tout voir, au galop. » Rolland a souligné « tout ». Derrière ce tout, il y a la politique, la révolution russe, les voyages à Moscou, l’engagement au côté de Trotski et la découverte du stalinisme qu’il dénonce. À la parution de Vers l’autre flamme (1929), Romain Rolland n’apprécie pas les mots sur Maria Koudacheva qu’il épousera en 1934 et qui contribuera à resserrer ses liens avec l’URSS, jusqu’à sa rencontre avec Staline. Istrati accuse Maria Koudacheva de l’avoir dénoncé aux autorités soviétiques en pleine purge de l’opposition trotskiste. Romain Rolland lui répond : « Je pense que vous êtes parfois livré à de mauvais démons de violence, dont vous n’êtes pas maître, mais que vous êtes capable de le reconnaître ensuite et de le regretter. » Et Istrati : « Vous dites que j’ai calomnié bassement cette personne. Les hommes jugeront un jour ce que j’ai dit d’elle et ce que vous dites de moi. » Il va même plus loin. En 1933, il publie dans la revue Les Nouvelles littéraires une « Lettre à Romain Rolland » qui entérine la brouille. Il annonce publiquement sa déception de voir son ami qu’il considérait comme « le modèle du juste » continuer à soutenir l’URSS et clame sa désillusion de constater que les alliés de Rolland ne cessent de le traiter comme un paria sans qu’il ne souffle mot pour le défendre. « Certes, vous avez le droit de vous tromper. Moi-même je me suis trompé, mais quand ? À l’époque où l’on fêtait le Xe anniversaire de la révolution d’Octobre, à l’époque où Trotski pouvait encore parler en public. Et combien de temps suis-je resté dans le brouillard ? Une année. Puis j’ai dénoncé le crime. »

Istrati n’en a plus pour longtemps. La presse communiste le traite de fasciste et la tuberculose le ronge. Il est temps pour lui de compléter son cycle Adrien Zograffi et d’écrire à Rolland en 1935. « Comme ma vie a de nouveau un peu de sens depuis que je vous ai retrouvé, en dépit de tout ce qui nous sépare. » Rolland persiste et lui écrit une dernière lettre le 28 mars. « Malheureux que vous êtes, quelle folie vous tient donc englué dans la politique, où vous ne comprenez rien, où vous n’avez jamais rien compris ! Vous ne savez qu’y être l’instrument aveugle et déréglé des pires politiciens ! Vous n’y faites que du mal, aux autres et à vous. Écrivez vos récits ! S’il est un salut pour vous, il ne peut être que dans l’art. » Le vagabond du monde meurt à Bucarest le 16 avril. C’est sur ces mots que s’achève cette correspondance qui témoigne d’une admiration réciproque sur fond de désaccord parfait.

— Laurent LEMIRE

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