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CORRESPONDANCE 1954-1968 (P. Celan, R. Char) Fiche de lecture

Ce volume de correspondance rassemble les quarante-cinq lettres, les onze cartes postales, les quarante dédicaces de livres, opuscules, poèmes, traductions et les quelques autres documents que s’adressèrent, de juillet 1954 à octobre 1968, le poète juif d’Europe orientale Paul Celan (1920-1970) et le poète du maquis de Provence René Char (1907-1988). L’ensemble est complété par la correspondance (1969-1977) poursuivie avec René Char par la veuve de Celan, le peintre et graveur Gisèle Celan-Lestrange (1927-1991), à laquelle s’ajoutent deux lettres des psychiatres Pierre Deniker et Jean Delay (un ami de René Char), qui soignèrent Paul Celan lors de son internement à l’hôpital Sainte-Anne, ainsi que deux autres de Marie-Madeleine Delay. Cette édition établie, présentée et annotée par Bertrand Badiou (Gallimard, 2015), est aussi illustrée d’un cahier iconographique (un choix de portraits photographiques, de gravures, de reproductions de lettres et de dédicaces manuscrites). Une annexe, des appendices et un index donnent enfin des repères littéraires et biographiques.

Dialogue en de sombres temps

Au-delà de la langue, de l’âge et du monde qui séparent les épistoliers, cette correspondance à trois mains montre quelle richesse nourrit le dialogue de la différence et quelle souveraine fraternité fonde la poésie. Au départ, Celan et Char partagent le fait d’avoir vécu des situations extrêmes dans les pires moments du xxe siècle. Né à Czernowitz en Bucovine, cette partie de l’Empire austro-hongrois rattachée à la Roumanie en 1919, le poète de « La Fugue de la mort » a connu l’internement dans les camps de travail roumains de 1942 à 1944 et réchappé au génocide ; le poète lyrique engagé des Feuillets d’Hypnos, né à l’Isle-sur-la-Sorgue dans la Provence de Pétrarque, a vécu la clandestinité de la Résistance et combattu contre toutes les formes de barbarie mortifère, du nazisme à la bombe atomique.

Déterminée par de tels abîmes historiques, la correspondance des deux hommes s'inscrit dans une multiple tragédie. Son acte le plus noir culmine avec la mort solitaire de Paul Celan, qui se jette dans la Seine durant la nuit du 19 au 20 avril 1970.

La première lettre de Celan qui entame le dialogue, le 21 juillet 1954, donne le ton : celui, exalté et brisé, d’un admirateur du lyrisme impérieux d'un poète qui a pris les armes. Contrairement à René Char, Paul Celan peut lire l’œuvre de son interlocuteur dans la langue originale et rêve de le traduire en allemand, ce qui donnera lieu au partage de plus d’une quarantaine de publications diverses. Le compagnonnage complexe des deux personnalités très différentes nourrira aussi des silences jusqu’à une crise de rupture (1959) et n’empêchera pas la tragique destinée d'une victime emblématique de l’antisémitisme : en effet, dès 1953, Celan, traducteur du poète Yvan Goll, est injustement accusé de plagiat par sa veuve, Claire Goll. Celle-ci monte une cabale contre lui jusqu'en Allemagne où ses premières œuvres lui assurent pourtant la réputation d’un Kafka du lyrisme poétique. Cette campagne de diffamation et d’annihilation rompt peu à peu l’équilibre psychique d’un écorché vif, déjà fortement éprouvé par le nazisme : le lecteur d'allemand à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm (depuis l'automne 1959) se sent poursuivi par ses anciens geôliers. En novembre 1965, dans un nouvel accès de délire, Paul Celan tente de tuer son épouse. Il est interné à l’hôpital de Garches, puis transféré en février 1966, à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne dans le service du professeur Jean Delay, sur les recommandations de René Char, son ami. D’autres graves crises de délire suivies d’hospitalisations le conduiront au suicide.

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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