CORRESPONDANCE DE CAMILLE CLAUDEL
Depuis les années 1980, l'étoile de Camille Claudel (1864-1943) n'a cessé de monter. Une rétrospective, en 1984, au musée Rodin à Paris et au musée Sainte-Croix de Poitiers, puis la publication du catalogue raisonné de son œuvre par Anne Rivière et Bruno Gaudichon, en 2001, ont beaucoup fait pour la connaissance de son art. Il restait à mieux cerner sa personnalité, décisive si l'on en croit la formule de son frère Paul Claudel : « L'œuvre de ma sœur, ce qui lui donne son intérêt unique, c'est que tout entière, elle est l'histoire de sa vie. » La publication de la Correspondance de Camille Claudel (édition d'Anne Rivière et Bruno Gaudichon, coll. Arts et Artistes, Gallimard, Paris, 2003) permet d'aller au-delà de l'image un peu forcée incarnée à l'écran par Isabelle Adjani en 1987.
Dans cette publication d'une grande clarté de composition, les lettres sont judicieusement accompagnées de photographies des principaux protagonistes, d'un autographe où l'on peut apprécier la belle écriture nerveuse de la « sculpteuse » – comme elle se nomme –, et surtout, d'œuvres placées au moment même où il en est question dans le texte. L'appareil de notes, très efficace, apparaît parfois comme un contrepoint où se rétablit une vérité que, toute à sa passion terrible, Camille a contrefaite. On découvre ainsi, au moment où elle se plaint tant de Rodin, les stratagèmes par lesquels ce dernier lui vient en aide après leur rupture. Comme l'écrivait Eugène Blot, en 1932, dans une lettre qui ne fut jamais remise à Camille, Rodin n'aura sans doute aimé que celle qu'il appelait « ma féroce amie » – tout en l'abandonnant pourtant, au profit de la sécurité domestique que lui procurait Rose Beuret, et de ses activités mondaines. On le sent dans les lettres envoyées au sculpteur par Camille, elle veut l'avoir tout à elle, et l'oblige, le 12 octobre 1886, à écrire cet engagement de fidélité amoureuse et artistique : « Je ne tiendrai pour mon Élève que Mlle Camille Claudel... Mlle Camille sera ma femme. » Pourtant, l'artiste elle-même s'irrite des articles qui rapprochent trop sa sculpture de celle de Rodin. Si elle comprend que celui-ci ne quittera pas Rose, elle est aussi trop orgueilleuse pour rester dans l'ombre du maître. Et surtout, elle a conscience de sa propre valeur : Sakountala (1888) et Les Valseurs (1893) sont des chefs-d'œuvre. En 1898, peu après lui avoir envoyé une magnifique lettre qui faisait l'éloge du Balzac, elle ferme sa porte à Rodin, acte de défi qui la prive d'un soutien alors que sa mère, l'impitoyable Mme Claudel, parfaite incarnation de la morale bourgeoise, continue à lui reprocher sa liaison. À ses correspondants, et même aux représentants de l'État, Camille décrit Rodin comme son persécuteur. La correspondance montre toute l'énergie d'une artiste qui fait son chemin seule, en intéressant à son travail des marchands comme Eugène Blot, des amateurs comme le capitaine Tissier ou la comtesse de Maigret, des critiques d'art comme Mathias Morhardt ou Gustave Geoffroy. L'Âge mûr (1898) et Persée (1899) témoignent d'un art à sa maturité, alors que les lettres contemporaines éclairent le lecteur sur la situation matérielle difficile de l'artiste (qui se défend avec courage et humour contre « l'aimable Adonis Pruneaux, [son] huissier ordinaire »), et de plus en plus, en particulier à partir de 1906, sur la détérioration de son état de santé, physique et mental. Camille Claudel aura connu que la sculpture en son temps était un art « plutôt fait pour les grandes barbes et les vilaines poires que pour une femme relativement bien partagée par la nature » (lettre de 1905). Le dernier ensemble, qui n'est pas le moins émouvant, est constitué par le courrier échangé au[...]
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Écrit par
- Thierry DUFRÊNE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X-Nanterre
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