CORRIDA
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La corrida à travers les arts
Préhistoire et Antiquité
L' apparition des représentations artistiques de taureaux coïncida très probablement avec la naissance de l'art. Les fouilles réalisées à Çatal Hüyük en Anatolie, site daté de 6700 à 5650 avant J.-C., ont mis au jour des temples ornés de têtes de taureaux ainsi que du mobilier et des piliers fabriqués en cornes de taureau stylisées. Ces constructions et ces objets auraient servi pour conjurer les esprits maléfiques, de la même manière que les couples de taureaux à tête humaine couramment gravés en signe de protection sur les portiques d'importants bâtiments dans le monde sumérien et en Assyrie. Les dieux taureaux et les cultes de sacrifice de taureaux étaient fréquents en Europe et au Moyen-Orient durant la préhistoire et l'Antiquité. L'animal y était révéré comme symbole de force et de fertilité. Le dieu-taureau Apis était ainsi adoré dans la ville de Memphis, capitale de l'Égypte sous l'Ancien Empire. De même, le taureau Nandi fut longtemps vénéré et dépeint dans l'art et l'architecture indiens comme la forme zoomorphique du dieu hindouiste Shiva.
Les scènes montrant un homme combattant des taureaux et d'autres bêtes sauvages sont également fréquentes. Certains combats sont ainsi représentés sur des peintures rupestres datant du paléolithique, entre 15 000 et 10 000 ans avant notre ère, découvertes dans des grottes en France et en Espagne. Les récits de ces combats sont légion dans la littérature mondiale. Le combat d'Hercule contre le lion de Némée, la mise à mort du Minotaure par Thésée et la victoire de Mithra sur un taureau, scène souvent représentée dans les arts hellénistiques, portent tous sur ce thème. Le premier matador mentionné dans la littérature est peut-être le héros de l'Épopée de Gilgamesh, légende babylonienne née il y a 4 000 ans. Les fresques découvertes à Cnossos, en Crète, dépeignent des danses acrobatiques ou des jeux durant lesquels des jeunes hommes et femmes sautent par-dessus les cornes de taureaux en train de charger.
Les modernes
Le combat de taureau traditionnel, cette « danse avec la mort » jugée « indéfendable mais irrésistible », a longtemps attiré l'attention et captivé l'imagination des peintres, romanciers, poètes, photographes, sculpteurs et cinéastes. Goya fut le premier peintre de renom à représenter tous les aspects de ce spectacle dans ses œuvres d'art. Torero amateur, il réalisa une série d'esquisses intitulée La tauromaquia (La tauromachie, 1815-1816) dépeignant la corrida du début du xixe siècle. L'un de ses chefs-d'œuvre représente deux combats de taureaux se déroulant dans l'arène de Madrid séparée en deux par une palissade.
Édouard Manet peignit lui aussi souvent des thèmes taurins, Le Torero mort (1864) étant peut-être l'exemple le plus connu. Pablo Picasso commença à dessiner des combats de taureaux dès son enfance à Málaga, en Espagne, et continua par la suite à représenter des sujets taurins dans ses œuvres. André Masson a lui aussi été fasciné par ce thème qu'il a souvent traité dans son œuvre. John Fulton, matador nord-américain promu au plus haut rang de la corrida en Espagne, était également peintre. Nombre de ses œuvres les plus populaires exposées dans des galeries privées et publiques ont été réalisées avec un seul pigment : le sang de taureaux qu'il avait mis à mort dans l'arène. Les affiches (carteles) impressionnistes annonçant les corridas dans les années 1920-1930 furent l'une des plus grandes contributions à l'art taurin. Celles réalisées par Roberto Domingo et Carlos Ruano Llopis, ainsi que par leur disciple tardif Juan Reus, étaient particulièrement appréciées.
La tauromachie a inspiré les écrivains espagnols pendant des siècles, et les romans espagnols consacrés à cet art sont trop nombreux pour être cités. Le plus célèbre d'entre eux est peut-être Sangre y arena (Arènes sanglantes, 1980), de Vicente Blasco Ibáñez. Cet ouvrage fut adapté deux fois au cinéma, la version la plus connue étant sans doute celle interprétée par Rita Hayworth et Tyrone Power (1941). Le poème le plus connu en la matière, de Federico García Lorca, est Llanto por Ignacio Sánchez Mejías (Plainte pour Ignacio Sánchez Mejías, 1935). Mejías, écrivain proche de García Lorca et également torero, mourut dans l'arène en 1934.
La tauromachie est aussi au cœur de l'un des opéras les plus populaires, Carmen de Georges Bizet (1875). L'œuvre a pour protagonistes une jeune sévillane pleine de fougue et son amant, torero. Si la femme a traditionnellement le rôle de la « belle spectatrice » dans la tauromachie, comme en témoignent les affiches de corrida, elle joue également celui de l'épouse affligée, de la mère souffrante ou de la femme fatale dans de nombreuses œuvres de fiction portant sur ce thème. Selon les codes littéraires, le héros byronien est en réalité souvent séduit à ses dépens par les artifices d'une femme d'une grande beauté. Certains critiques voient là un renversement ironique, car l'on peut fort bien considérer que le matador revêt ce rôle féminin avec le taureau dans l'arène, taquinant et séduisant le mâle pour l'attirer vers la mort. Dans Les Bestiaires (1926), Henry de Montherlant traite aussi de la mort qui plane de façon omniprésente sur l'arène.
Le premier ouvrage en anglais donnant véritablement une vision précise, détaillée et objective de la tauromachie, et certainement aussi le plus influent, fut Death in the Afternoon (Mort dans l'après-midi, 1932) d'Ernest Hemingway. L'écrivain intégra également des scènes de tauromachie dans ses romans Le soleil se lève aussi (1926) et Pour qui sonne le glas (1940), ainsi que dans sa dernière œuvre littéraire majeure, The Dangerous Summer (L'Été dangereux, 1960), qui raconte la rivalité entre deux grands matadors, Dominguín et son beau-frère, Antonio Ordóñez (fils de l'un des toreros qui inspira le personnage de Le soleil se lève aussi).
L' un des meilleurs films réalisés sur la tauromachie, The Bullfighter and the Lady (La Dame et le toréador, 1951) de Budd Boetticher, suscita un véritable engouement pour cet art aux États-Unis. Torero amateur, Boetticher produisit plusieurs autres films sur ce thème. Le réalisateur Pedro Almodóvar tourna lui aussi des films évoquant la tauromachie, dont Matador (1986), largement critiqué en Espagne pour sa représentation négative de la corrida, et Hable con ella (Parle avec elle, 2002), qui traite notamment de la relation entre une femme torero et son amant. Dans l'art comme dans la société, la « danse avec la mort » que représente la corrida ne laisse jamais indifférent.
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Écrit par
- Barnaby CONRAD : matador
Classification
Médias
Autres références
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ANIMALIER DROIT
- Écrit par Olivier LE BOT
- 4 687 mots
...genevois, la chasse n'est plus un sport ni un loisir. Participant de la même logique, le Parlement de Catalogne a voté en juillet 2010 l'interdiction des corridas. La mesure, inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée locale sur initiative populaire, procédait d'une volonté d'affirmer l'identité catalane...
Voir aussi
- ARÈNES
- CULTURE DE MASSE
- ARISTOCRATIE
- ÇATAL ou CHATAL HÜYÜK, site archéologique
- CELTIBÈRES
- CHEVAL
- SPECTACLE
- TAUREAU
- COSTILLARES JOAQUÍN RODRÍGUEZ (1729-1800)
- PEDRO ROMERO MARTINEZ (1754-1839)
- TORERO
- MULETA
- BANDERILLE
- ESPAGNE, histoire : XVIe et XVIIe s.
- TAUROMACHIE
- ESPAGNOLE LITTÉRATURE, XIXe, XXe et XXIe s.
- REPRÉSENTATION DANS L'ART
- MATADOR
- ESPAGNE, histoire, de 1900 à nos jours
- TAUREAU SYMBOLISME DU