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CORSE

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Les bouleversements du dernier demi-siècle

Une population accrue

Après un siècle de dépérissement, l'évolution régressive s'est inversée pour la Corse au cours de la décennie 1950-1960. L'impulsion est venue du dehors. Pourquoi et avec quels effets ? 176 000 habitants en 1962, 316 250 en 2012 : le gain de 140 500 habitants témoigne de l'arrêt du dépeuplement. L'arrivée de 17 500 rapatriés d'Afrique du Nord, entre 1957 et 1963, en a été la cause initiale. Plus de la moitié d'entre eux s'est installée à Ajaccio et Bastia ; cinq cents familles se sont dispersées dans les campagnes littorales, surtout autour d'Aléria et de Ghisonaccia. Cette immigration a entraîné la croissance, mais les rapatriés n'ont constitué qu'une fraction minoritaire par rapport aux entrées de main-d'œuvre étrangère jusqu'en 1975. Ensuite, les arrivées du continent l'ont emporté sur le flux étranger, majoritairement maghrébin.

D'ailleurs, l'excédent naturel étant nul (0 p. 100 de 2007 à 2012), les progrès reposent sur l'excédent migratoire (+ 1,1 p. 100 pour la même période) et diminuent depuis trente ans. Ils ont gonflé les groupes d'adultes sans supprimer le vieillissement, fruit de l'exode, et sans accroître le capital jeunesse qui reste déficient : pour la première fois, en 1990, les moins de vingt ans (23,1 p. 100 de la population) sont devenus moins nombreux que les plus de soixante ans (23,4 p. 100). Mais les taux d'activité se sont améliorés, la population active passant de 29,2 p. 100 en 1962 à 68,7 p. 100 en 2011, l'activité féminine de 11 p. 100 à 61 p. 100.

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L'accroissement de la population n'a pas été également bénéfique pour l'ensemble de l'île. Les grandes gagnantes sont les villes, puisqu'elles ont attiré l'essentiel des gains, doublant leur importance en réunissant aujourd'hui plus de 62 p. 100 de la population. L'expansion a transfiguré Ajaccio et Bastia, deux villes moyennes très vivantes, avec respectivement 67 000 et 44 100 habitants (en 2012) ; elle a accusé le contraste entre les vieux ports-forteresses, associés aux centres-villes, et les nouveaux quartiers dont la croissance impétueuse a créé des unités satellites et occupé les pentes. Parmi les petites villes, Porto-Vecchio a connu une explosion brutale : avec un centre modernisé et une marine aménagée, elle comptait 10 200 habitants. Deux autres seulement dépassent le seuil des 5 000 habitants : Corte, grâce à sa position centrale sur l'axe Ajaccio-Bastia et à son université, et Calvi, animée par sa fréquentation touristique.

Ajaccio - crédits : 	Pierre Voglimacci/ EyeEm/ Getty Images

Ajaccio

Bastia - crédits : Frédéric Soltan/ Corbis/ Getty Images

Bastia

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En revanche, l'intérieur montagnard offre le spectacle des régions hautes qui se sont vidées progressivement. Depuis la fin du xixe siècle, la désertification a emporté plus des trois quarts des habitants en Castagniccia, dans le Niolo, près des deux tiers dans l'Alta Rocca, le Taravo, la Balagne, le Cap Corse. Sous l'effet des départs, du vieillissement et de la dénatalité, beaucoup de villages sont devenus squelettiques. Ils ne revivent que l'été, au moment des vacances, de plus en plus réduits au rôle de résidences saisonnières.

Ainsi, moins de 50 000 personnes peuplent maintenant les coteaux et la montagne. La population se concentre dans les villes littorales, le long de la façade orientale, et sur les axes de communication. C'est une nouvelle géographie de la Corse vivante qui s'est établie.

Des tentatives de rénovation et un bilan économique décevant

La prise de conscience des disparités régionales a valu à la Corse, qui avait le niveau de vie le plus bas de la métropole, d'être intégrée à l'aménagement du territoire avec un Plan d'action régionale particulier en 1957. Le tourisme, activité clé, devait régénérer toute l'économie. Un aménagement agro-sylvo-pastoral visait à transformer les plaines incultes en riches terroirs irrigués. La Société pour la mise en valeur agricole de la Corse (Somivac) et la Société pour l'équipement touristique de la Corse (Setco), sociétés d'économie mixte, furent créées. Si la seconde eut un rôle réduit, la première entreprit, durant vingt ans, une mission de colonisation rurale sur quatre périmètres de défrichement, installant une partie des rapatriés, soutenant un faisceau d'initiatives privées, construisant un réseau d'irrigation. Les résultats furent importants : 30 000 hectares conquis sur le maquis, une centaine d'exploitations nouvelles, un verger d'agrumes, un vignoble envahissant bien qu'imprévu, une agriculture sophistiquée appuyée sur un mouvement associatif multiforme. Que reste-t-il de cet embrasement ?

Le repli est grave depuis le début des années 1980 : beaucoup d'exploitations ont disparu, les primes à l'arrachage ont emporté les trois quarts du vignoble. Le verger de clémentiniers se maintient et la production de vin, 363 000 hectolitres en 2014, recherche maintenant la qualité. Si la surface plantée en kiwis et pêchers a diminué, amandiers, noisetiers et oliviers sont plus prometteurs. L'élevage survit : traditionnel pour les bovins et les porcs dans l'intérieur, plus évolué pour les chèvres et les brebis car les bergers fabriquent du fromage fermier depuis le repli des sociétés de Roquefort à partir des années 1980. Mais 3 p. 100 seulement du sol sont cultivés, 17,7 p. 100 utilisés ; 10 000 hectares sont retournés à la friche en plaine orientale. La situation des agriculteurs, écrasés par le poids des prêts non remboursés, est inquiétante.

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La conversion au tourisme de masse a été plus aisée. De 25 000 lits en 1960, la capacité d'accueil est passée à 500 000 lits (200 000 en hébergement professionnel, 300 000 en résidences secondaires). Les initiatives privées ont donné l'impulsion : clubs de vacances, grande finance pour les grosses opérations immobilières, tourisme social, et un ensemble d'initiatives locales pour les hôtels, campings et restaurants. Pourtant, l'essor de la fréquentation a subi arrêts et reculs, en 1993-1996 par exemple. Elle s'est redressée depuis lors, oscillant dans la dernière décennie entre 2,5 millions et 3 millions de touristes (dont 30 p. 100 d'étrangers), dopée par les facilités de transport, l'apparition des navires à grande vitesse et la multiplication des lignes maritimes italiennes.

C'est la preuve que l'île reste dépendante de son économie de services. Les faiblesses industrielles, si souvent dénoncées, persistent ; le bâtiment, qui faisait la force du secteur secondaire, a peine à sortir d'une longue crise. Le tertiaire-refuge garde sa toute-puissance (plus de 80 p. 100 des emplois salariés dans les années 2010), surtout le tertiaire public, qui procure plus du quart de la richesse de l'île, et les services marchands où le secteur hôtels-cafés-restaurants compte autant que l'industrie dans la T.V.A. Il y a quelques éléments encourageants : les succès de l'aquaculture, les espoirs reposant sur l'énergie éolienne.

Le Rapport au gouvernement de 1998 révélait la fragilité d'une économie déséquilibrée et « des dépenses publiques abondantes qui n'ont pas les effets escomptés ». Car la Corse coûte cher à l'État : aux aides et avantages divers, s'ajoute le plus fort ratio par habitant de dépense communautaire en France. C'est une région « sous perfusion », très vulnérable bien que les habitants aient bénéficié d'une hausse notable de leur niveau de vie : même si tous les décalages ne sont pas comblés, elle est la plus aisée des régions pauvres de l'Europe, associant une production de pays pauvre à une consommation de pays riche.

Les tumultes des mouvements revendicatifs

Si la Corse n'a pas l'exclusivité du nationalisme provincial, elle est celle pour qui la montée des revendications s'enracine dans la période charnière 1955-1965. Il y a eu cependant des précédents et un Parti corse autonomiste en 1927. Mais c'est la révélation du délabrement insulaire et le démarrage du changement avec l'intrusion brutale de la modernité qui ont engendré la contestation. Née d'une réaction défensive devant les difficultés économiques, s'appuyant d'abord sur les handicaps de l'insularité, elle prend peu à peu une dimension politique, multipliant ses objectifs et ses moyens d'action, entraînée à un perpétuel dépassement, malgré les résultats obtenus.

Le Front régionaliste corse est créé en 1966, l'Action régionaliste corse (A.R.C., frères Siméoni) en 1967 ; les attentats ont commencé en 1965, dirigés contre la Somivac, perçue comme un symbole du colonialisme. La reconnaissance de la personnalité insulaire, avec un statut particulier, devient vite un but essentiel et, malgré la création de la Région de programme (1970), la notion d'autonomie s'affirme dès 1973. La violence s'intensifie, jusqu'à la sanglante affaire d'Aléria en août 1975 (où deux gendarmes sont tués), provoquée par l'occupation de la cave Depeille par Edmond Siméoni et quelques partisans de l'A.R.C., en guise de protestation contre les fraudes des grands viticulteurs pieds-noirs, entachant la réputation des vins corses. Malgré l'échec de cette opération, les gains se succèdent : création de deux départements distincts (1975), de l'université de Corte, et, grâce à une Charte de développement, mise en œuvre de la continuité territoriale (1976) assurée par la Société nationale Corse-Méditerranée, service public qui abaisse les tarifs de transport Corse-continent.

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De la prolifération des groupes contestataires surgissent le Front de libération nationale de la Corse en 1976 et l'Union du peuple corse des frères Siméoni en 1977 (qui remplace l'A.R.C. dissoute en 1975), hostile à la violence du F.L.N.C. Le gouvernement socialiste, en proposant un statut particulier pour l'île, dotant celle-ci en 1982 d'une Assemblée régionale (forme locale du conseil régional) de 61 membres, élus au suffrage universel, suscite la première expérience française de décentralisation. Les élections à l'Assemblée de Corse, depuis 1982, introduisent légalement les nationalistes dans la vie politique. Le statut Joxe de 1991 accorde des prérogatives nouvelles. La Corse devient une collectivité territoriale à statut particulier, sans équivalent en France métropolitaine. Mais les attentats ne cessent pas, les factions se multiplient, entraînant une guerre fratricide entre chefs, déclenchant « la spirale criminelle » qui aboutit à l'assassinat du préfet Claude Érignac en février 1998, abattu comme un symbole de l'État.

Après plus de quarante ans de rébellion, autonomistes et indépendantistes, peu attractifs au début, ont accru leur influence, malgré leurs divisions. Les thèmes de la propagande sont mobilisateurs pour les Corses : l'attachement au pays, à sa langue, à ses traditions, la défense des intérêts économiques, l'hostilité devant les intrusions extérieures. Cette sympathie n'a pas pour autant entraîné l'approbation du terrorisme ou des dérives affairistes et mafieuses. Des protestations se sont élevées après les faits les plus retentissants. Les scores électoraux ont grossi, les listes régionalistes atteignant pour la première fois 24,8 p. 100 des suffrages en 1992, oscillant ensuite entre 15 et 25 p. 100, sans parvenir à la majorité, le corps électoral restant fidèle aux hommes politiques en place. La lassitude s'exprime par des abstentions nombreuses. Une longue réflexion a été engagée en 1999 entre gouvernement et élus (le processus de Matignon) pour sortir de la crise et parvenir à rétablir la paix, l'État de droit, et à assurer un développement économique maîtrisé de l'île. Un statut qui octroie de plus larges compétences à la région a été adopté à la fin de 2001. En juillet 2003, la victoire du non au référendum organisé dans le cadre de la réforme de la décentralisation concernant la création d'une collectivité unique sur l'île (projet qui prévoyait la suppression des deux départements), proposition soutenue par les nationalistes, freine pour un temps la recherche d'une solution à l'imbroglio corse. À partir des années 2010, le nationalisme s’exprime plutôt dans les urnes et des nationalistes de tendance modérée parviennent à détrôner des membres de dynasties insulaires.

Lors de la réorganisation territoriale qui substitue treize régions administratives aux vingt-deux collectivités existantes à partir de 2016, la Corse n’entre dans aucun regroupement. En revanche, la loi de janvier 2015 entérine la fusion entre la collectivité territoriale et les conseils départementaux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud pour le 1er janvier 2018, sous le nom de « collectivité de Corse ».

— Janine RENUCCI

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Corse : carte administrative - crédits : Encyclopædia Universalis France

Corse : carte administrative

Gorges de la Spelunca, Corse - crédits :  V. Giannella/ De Agostini/ Getty Images

Gorges de la Spelunca, Corse

Ajaccio - crédits : 	Pierre Voglimacci/ EyeEm/ Getty Images

Ajaccio

Autres références

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