CORTO MALTESE. SOUS LE SOLEIL DE MINUIT (J.D. Canales et R. Pellejero)
Dans le domaine de la bande dessinée francophone, l’année 2015 restera celle de la « normalisation » de Corto Maltese, le marin inventé en 1967 par Hugo Pratt. Comme tous les autres grands héros de papier – seul Tintin résiste encore –, la mort de son créateur ne l’empêche plus de vivre de nouvelles aventures. Dans Sous le soleil de minuit (Casterman), les Espagnols Rubén Pellejero (pour les dessins) et Juan Díaz Canales (pour le scénario) lui font parcourir en 1915 le Yukon, dans le Nord canadien, sur les traces de Jack London.
Un héros, de multiples vies
Le lieu, la date et la référence littéraire sont habiles. Ils permettent à ce treizième album de s’intégrer assez facilement dans l’ensemble de la saga. Hugo Pratt, pourtant grand lecteur de Jack London et de James Oliver Curwood, n’avait jamais envoyé Corto dans le Grand Nord, l’un des lieux classiques des récits d’aventure. La date choisie situe cet épisode, dans la chronologie de la vie du héros, juste après La Ballade de la mer salée, alors que Pratt n’a pas encore nourri ses récits de références ésotériques, et que son graphisme reste relativement classique : on imagine difficilement des suites aux ultimes épisodes de Pratt, trop personnels dans le fond et dans la forme, alors que par divers aspects, notamment sa galerie de personnages, Sous le soleil de minuit est un prolongement crédible à La Ballade de la mer salée, une sorte de « Ballade de la neige glacée ». Enfin, par le rôle qu’y joue Jack London peu avant sa mort, cet épisode renvoie à La Jeunesse de Corto, où les deux hommes s’étaient rencontrés.
Hugo Pratt ayant lui-même déclaré qu’il était favorable à ce que son personnage continue après lui, cette nouvelle histoire n’a déplu qu’aux puristes, qui n’ont pas retrouvé certaines caractéristiques – difficilement imitables – qui faisaient la singularité du Corto originel, notamment des audaces narratives, une dose de mystère, un principe d’ambiguïté. Sous le soleil de minuit est dans l’explicite, alors que Pratt jouait avec le non-dit, et en même temps avec son lecteur.
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Écrit par
- Dominique PETITFAUX : historien de la bande dessinée
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