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COSMOPOLIS (D. DeLillo) Fiche de lecture

Don DeLillo - crédits :  Leonardo Cendamo/ Hulton Archive/ Getty Images

Don DeLillo

Vers la soixantaine, Don DeLillo, né en 1936, a achevé Outremonde (1997), un livre-somme, auquel il avait travaillé, par épisodes, pendant quelque vingt ans. Dans cette vaste fresque, manière d'all-over à la Jackson Pollock, il balayait sur quarante ans (1951-1992) l'espace-temps américain, d'est en ouest et de A à Z. Avec en son centre New York déjà (le New York de l'été 1974), le roman était à la fois une sorte d'autobiographie, intime quoiqu'oblique, où Don DeLillo exhumait son adolescence dans le Bronx, et une cartographie politique de la planète, des débuts de la guerre froide au lendemain de la chute du Mur, lorsque l'Empire américain se retrouva comme amputé de son double soviétique. Entre-temps, dans les interstices de ce projet de longue haleine, il a écrit des textes brefs, presque des contes, où l'on reconnaît toutefois, sous une forme compactée, son monde.

Ce fut d'abord Body Art (trad. M. Véron, Actes Sud, 2001). Dans une grande baraque solitaire, sur la côte du Maine, un cinéaste de soixante-quatre ans et sa jeune femme prennent le petit déjeuner. Ils l'ignorent, mais c'est leur dernier matin. Rentré à Manhattan, l'homme se tire une balle dans la tête. Le récit se passe dans l'interzone du deuil, entre présence et absence. Restée seule, la jeune femme, au milieu de la nuit, scrute sur l'écran de télévision des scènes et des signes étranges, comme venus d'ailleurs. Elle épie les craquements de la maison. Un intrus s'y est insinué – un « idiot », échappé de l'asile du village – qui semble se glisser dans les empreintes fantômes du disparu. Elle le nourrit, le berce – et finalement l'expulse avant d'aller se produire, sur une scène de Boston, dans le spectacle de body art qui donne son titre au livre, passant brusquement d'un fantastique à la Antonioni à une liturgie violente à la Scorsese, le temps d'un conte qui semble avoir été écrit dans l'ombre de Henry James.

Cosmopolis (trad. M. Véron, Actes Sud, 2003) propose une autre brève variation, mais dans un autre registre. La ville-cosmos du titre est à nouveau Manhattan, traversé d'est en ouest, de l'aube à la nuit noire. On voit le protagoniste s'éveiller à l'aube, dans son triplex de 48 pièces, au sommet d'un gratte-ciel de 89 étages dominant l'East River à la hauteur des Nations unies. À vingt-huit ans, Eric Parker est un « maître du monde », comme on en a vu dans Le Bûcher des vanités de Tom Wolfe (1987), ou encore dans American Psycho de Bret Easton Ellis (1992). Donald Trump version Superman, il est devenu milliardaire en spéculant sur les fluctuations du marché monétaire. Ce matin-là, il a bizarrement décidé d'aller se faire couper les cheveux chez un barbier à l'ancienne, de l'autre côté de la ville. Il prend place dans sa « limousine allongé » – un paquebot de vingt et quelque pieds. Chauffeur au volant, garde corps marchant sur les côtés, l'équipage se met en branle en direction de l'ouest, le long de la 47e Rue, pour une sorte de « road-movie » urbain.

Plancher en marbre de Carrare et fresque au plafond représentant le cours des planètes, la limousine est une sorte de capsule spatiale tapissée de liège, comme la chambre de Marcel Proust. Eric Parker y reçoit son analyste financier, et même, dans une scène à dessein grotesque, son médecin, pour un examen de la prostate. Dans ce lieu clos toutefois, le monde entier est projeté en boucle sur des écrans multimédias. On y assiste en direct à l'assassinat du directeur du F.M.I. en Corée, ou à la mort dans sa datcha d'un spéculateur russe avec qui notre golden boy a autrefois chassé le sanglier. On est au cœur de la planète financière.

La ville de New York est en état de siège. Le président est en visite. Une rumeur[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Média

Don DeLillo - crédits :  Leonardo Cendamo/ Hulton Archive/ Getty Images

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