COSMOS (exposition)
En France, certains conservateurs de musée n'aiment guère les expositions thématiques. Elles ne seraient pour eux qu'un fatras arbitraire, elles feraient fi de l'histoire et du document, bref elles ne seraient pas sérieuses ; elles ne feraient pas avancer l'histoire de l'art, comme les expositions monographiques. Les expositions thématiques comme Le Sexe de l'art au centre Georges-Pompidou en 1996 ou Le Sentiment de la montagne au musée de Grenoble en 1998 ont été des exceptions. L'exposition thématique Cosmos organisée conjointement par des Canadiens et des Français sous la direction de Jean Clair a été présentée au musée des Beaux-Arts de Montréal (17 juin-17 octobre 1999) puis au centre de culture contemporaine de Barcelone (23 novembre 1999-20 février 2000) sans trouver de lieu d'accueil en France, comme la belle exposition présentée à Vienne en 1987, Zauber der Medusa, par Werner Hoffmann, qui traçait un fil du maniérisme au surréalisme, n'avait pu trouver sa place à Paris.
Les expositions sont-elles faites pour les historiens de l'art ou sont-elles destinées au public ? L'histoire de l'art elle-même, peut-elle se concevoir en marge de celle des idées ? Peut-on imaginer une histoire de l'art purement formaliste qui se contenterait de préciser des chronologies, de mettre à plat des documents d'inventaire et de jouer avec subtilité au jeu des influences et des citations ?
Peut-on évoquer la peinture romantique allemande sans citer Carus et Humboldt ? Cosmos, qui a donné son titre à l'exposition, fut l'ultime tentative de Alexander von Humboldt pour dépeindre « la nature sous son aspect extérieur et purement objectif », mais aussi « son image réfléchie à l'intérieur de l'homme par l'intermédiaire des sens ». Quant à Carl Gustav Carus, son Promeneur au sommet d'une montagne – contemplation presque abstraite du jeu des éléments – sert de couverture au catalogue et d'affiche à l'exposition.
Jean Clair est coutumier de ces liens entre l'histoire des idées et l'histoire des formes, de ces courts-circuits entre l'art et la science, de cette recherche du mythe sous les tentatives les plus froides de la science. L'Âme au corps, exposition présentée en 1993 au Grand Palais, avait su créer des rapprochements inattendus entre science et idéologie. Elle avait montré que le dessin scientifique le plus « neutre » portait lui aussi l'empreinte esthétique de son temps, que la petite danseuse de Degas devait moins au « réalisme » qu'aux hantises contemporaines, nées du darwinisme sur la dégénérescence. Que les hystériques de Charcot et les monocellulaires de Ernst Haeckel avaient à voir par ailleurs avec l'Art nouveau.
Cosmos, qui reprenait certains de ces thèmes, est le troisième volet d'un triptyque mis au point par la même équipe et par le même musée, celui des Beaux-Arts de Montréal. Depuis Les Années vingt : l'âge des métropoles en 1991, jusqu'à Cosmos, en passant par Paradis perdus: l'Europe symboliste en 1995, nous retrouvons certaines interrogations, sinon même une inquiétude commune : comment le crépuscule des dieux advient-il ? Y a-t-il rupture ou continuité dans le surgissement de la modernité ? Celle-ci se nourrit-elle secrètement des espoirs et des craintes romantiques et symbolistes ? En quoi les utopies du xxe siècle s'enracinent-elles dans les plus vieux rêves et les plus antiques croyances ? D'une exposition à l'autre les thèmes s'ébauchent et s'achèvent comme les utopies des années 1920 qui constituent des chapitres entiers dans Cosmos, comme l'origine symboliste, et parfois occulte, de l'abstraction chez Kandinsky, Mondrian ou Kupka.
Cosmos, en s'attachant aux utopies du xxe siècle,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Louis GAILLEMIN : critique d'art, professeur associé d'histoire des arts décoratifs à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification