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COULEURS, histoire de l'art

Techniques et traités au Moyen Âge

L'introduction des tons de bleu en Occident et les premières indications techniques sur leur fabrication se trouvent dans un recueil de recettes artisanales, les Compositiones ad tingenda musiva..., manuscrit probablement rédigé à l'époque de Charlemagne, découvert à Lucques et publié seulement au xviiie siècle à Milan par Ludovico Antonio Muratori. Il s'agit là du texte résumant le mieux le développement de la technique de la mosaïque et les effets de transparence chromatique sur pâte de verre réalisés au moyen d'oxydes métalliques (vert-de-gris, cinabre, litharge, orpiment), auxquels s'était mesuré l'artisanat romain.

Aux xie et xiie siècles, on recueillait systématiquement des informations techniques sur l'art des couleurs, venues de la tradition gréco-romaine. Le De coloribus et artibus Romanorum, attribué à Héraclius, la Diversarum artium schedula du moine Théophile (parfois identifié avec l'orfèvre Roger de Helmarshausen), véritable traité des techniques de l'art, ou encore la Mappae clavicula, petit traité diffusé par les manichéens, qui comporte des pratiques rituelles, des secrets chimiques et chromatiques fondés sur les affinités entre substances (soufre, mercure et cinabre) ainsi qu'une liste des matériaux utilisés en peinture, sont les ouvrages très répandus au Moyen Âge, qui offraient aux artistes et aux artisans des connaissances techniques précises sur la couleur comme substance ou matière.

Les élaborations chromatiques du Moyen Âge tiennent à coup sûr à la redécouverte de la couleur bleue et sont à mettre en étroite relation avec le perfectionnement de la technique des fixatifs. Ces substances, qui remplacent les produits altérables, impurs et putrides (la salive, l'urine, le sang, etc.), garantissent l'adaptation de la teinte à son support et sa durée (il s'agit essentiellement de l'huile de noix, de lin et de pavot) ; elles inaugurent l'ère de la science de la couleur et le règne de la peinture et de la fresque.

Le Liber magistri Petri de Sancto Audemaro de coloribus faciendis, que l'on peut dater du xive siècle, transcrit les secrets de Pierre de Saint-Omer. Ce recueil de formules, ainsi que le De arte illuminandi (xive s.) ou le De coloribus diversis modis, composé entre 1398 et 1411, et d'autres traités de technique de l'enluminure, constitue une synthèse qui ouvre la voie à la culture d' atelier du Moyen Âge, avec les Capitolari des corporations dans les centres italiens d'artisanat où l'on inscrivait les membres d'un même art ainsi que les « secrets » et les méthodes de son travail. Aux xive et xve siècles, on note un conflit entre un évident souci de protectionnisme des ateliers et une volonté d'autonomie des artistes, correspondant à la phase de transformation sociale de l'artisan en artiste.

Le commerce des teintures au Moyen Âge couvre une vaste gamme de produits dont la fabrication fait intervenir connaissances botaniques et pratiques alchimiques. On commence alors à distinguer les diverses productions tinctoriales en fonction des lieux et des villes d'origine. Dans l'Italie pré-renaissante, les centres de la laine et de la soie, comme Florence, Venise et Gênes, privilégient, comme dans l'Antiquité, la gamme des rouges : dans la production tinctoriale de ces centres, sur les dix-neuf couleurs produites, sept sont des gradations allant du rouge cramoisi au violacé, avec une incursion limitée vers l'indigo oriental, dit « de Baghdad ». En France domine très nettement l'usage de la teinte bleu sombre de la guède, illustrée par les fameux pers de Châlons et de Provins, étoffes dont on pense qu'étaient vêtues les dames des Très Riches Heures du duc de Berry ou les Vierge de Jean Fouquet. Les verts et les noirs des Flandres[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Venise, département d'histoire et de critique de l'art

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Michel-Eugène Chevreul - crédits : Bettman/ Getty Images

Michel-Eugène Chevreul

John Dalton - crédits : Rischgitz/ Hulton Archive/ Getty Images

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