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COULEURS, histoire de l'art

Symbolique des couleurs et société industrielle

Le blanc hygiénique qui s'impose à partir du xviiie siècle suppose une « philosophie de la couleur » – selon laquelle le blanc est la couleur stable et définitive à laquelle se rapportent toutes les autres – et qui n'est pas sans évoquer d'ailleurs les théories de Newton. Ce phénomène du blanc hygiénique devient absolu dans une vision monochromatique, non seulement par rapport à la couleur, mais également par rapport à l'« obscur », dont les seuls refuges, selon Goethe, sont la poésie et la peinture. Une dominante blanche prévaut dans l'architecture et la sculpture de la ville néo-classique. Au début du xixe siècle, la ville bourgeoise tend à marquer ses distances à l'égard de la réalité noire et enfumée de la cité industrielle et des bas quartiers habités par les ouvriers. La blancheur archéologique des symboles empruntés à l'Antiquité vient ennoblir les édifices publics et privés, selon un point de vue passablement étranger d'ailleurs à l'esprit de l'Antiquité grecque. À cette blancheur de l'espace urbain, qui sert de cadre aux fonctions publiques, s'oppose le noir individuel des objets et des vêtements, tandis que le rouge, couleur militaire et guerrière (le noir et le rouge ne sont-ils pas les emblèmes du roman de Stendhal, de 1830 ?), prend plus lentement des connotations populaires et révolutionnaires.

Le blanc, en tant qu'unité déclarée de toutes les couleurs possibles, et le noir, son opposé, tendront à devenir des teintes de référence dans la vision moderne de la couleur ; elles gouvernent les classifications chromatiques autour des pôles de la clarté et de la saturation, et cela de la sphère d'Otto Runge (1810) aux classifications chromatiques de Munsell (1915), d'Ostwald (1915) et jusqu'à celles, plus récentes, de Hickethier (1925) et Küppers (1975).

Depuis le xvie siècle, le spectre des couleurs était à l'origine de comportements significatifs en matière d'habillement, codifiés en un véritable « traité des bonnes manières ». Puis, progressivement, chaque couleur est devenue un message condensé dans un objet précis : la bannière, le costume, l'uniforme, le tableau, le jardin. Cela ne concerne plus exactement la coloration et la production d'objets, mais un processus d'identification formelle que la couleur transmet aux objets : les couleurs nationales, les couleurs de la mode, les couleurs de la peinture... Le blanc représentera la joie ; le noir, qui au xviiie siècle était utilisé dans les mascarades, sera ensuite le signe du deuil après avoir été auxixe siècle la marque du vêtement bourgeois ; et c'est une identification sexuelle précise que l'on attend du rose pour les fillettes et du bleu clair pour les petits garçons : la couleur ayant un rôle éducatif dans cette petite patrie qu'est la famille.

La société industrielle apparaît comme une communauté monochromatique ou dialectiquement bichromatique non seulement parce que le blanc éloigne le noir ou que le rouge exclut le bleu (comme en témoignent les indications de chaleur ou de froid pour l'eau, par exemple : on [rouge]/off [bleu]), mais par suite d'une demande quantitative de la vision de la couleur comme phénomène purement additif ou reproductif.

La photographie, le cinéma, la télévision témoignent que les progrès techniques et la civilisation industrielle se développent essentiellement en noir et blanc, et rendent peut-être théoriquement secondaire la recherche sur les images en couleurs. Cela explique peut-être la grande sensibilité à la couleur qui se manifeste dans les sociétés postindustrielles, comme on peut aujourd'hui le constater par l'emprise du monde des couleurs et par l'attention qui lui est portée.

Pourtant, même la photographie [...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Venise, département d'histoire et de critique de l'art

Classification

Médias

Michel-Eugène Chevreul - crédits : Bettman/ Getty Images

Michel-Eugène Chevreul

John Dalton - crédits : Rischgitz/ Hulton Archive/ Getty Images

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