COURBET GUSTAVE (1819-1877)
Le poème de la nature
L'Atelier, dont la présentation à l'Exposition universelle de 1855 souligna le caractère de « somme », est la seule peinture de Courbet qui offre une telle densité de pensée, mais la plupart des tableaux de cette époque sont aussi des « allégories réelles ». À ceux qui constatent l'étroitesse et la rigidité de l'ordre social et mettent en lumière les facteurs concrets d'oppression s'opposent ceux qui exaltent les forces de vie, la nature infinie que le peintre salue dans Le Bord de la mer à Palavas (1854, musée Fabre, Montpellier), la colossale Vénus bourgeoise des Baigneuses... C'est au fond le même appétit d'espace physique et moral, de liberté, d'émotion, de plaisir qu'il exprime, frustré ou assouvi, dans ses tableaux à sujets sociaux et dans les pages apparemment vouées au seul culte de la beauté. Les deux gammes peuvent d'ailleurs s'associer, par exemple dans l'Enterrement, où la procession des villageois réunis devant la fosse comme pour une danse des morts (l'image est due au poète Max Buchon, ami de Courbet) s'inscrit au milieu d'un grandiose terroir de falaises, ou dans La Rencontre (1854, musée Fabre, Montpellier), où le paysage rude et clair parle le même langage de liberté que la scène du premier plan. Paysages de mer, de falaises et de sous-bois, visages et corps de femmes, fleurs et fruits, animaux, la nature sous tous ses aspects apparaît dans l'œuvre de Courbet comme une immense réserve d'énergie et de mystère. C'est parce que la société contredit ce principe vital qu'elle se révèle insupportable. Ainsi s'explique la présence dans le sombre Atelier de la femme nue et du paysage d'eau et de verdure placé sur le chevalet, manifeste « écologiste » avant la lettre.
À partir des années 1860, Courbet détourne plus souvent son regard d'une société coupée de ses racines et avilie par l'exploitation de l'homme par l'homme. Cet athlète, ce grand chasseur, se retrempe dans la contemplation de la nature vierge et féconde. Jusqu'à ses toutes dernières années, il en recense les aspects dans une profusion de tableaux admirables. Des toiles comme le Pique-nique (1858, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne), le Combat de cerfs (1861, musée d'Orsay), L'Hallali du cerf (1869, musée des Beaux-Arts, Besançon) sont la contrepartie lyrique des grandes compositions à sujet social de la décennie précédente. Le Pique-nique et L'Hallali, pages d'une sonorité et d'un éclat prodigieux, exaltent à grande échelle les joies sportives de la chasse ; le Combat de cerfs est une sorte d'épopée de la vie instinctive, surprise dans les profondeurs des règnes animal et végétal. « Le Combat de cerfs, écrivait Courbet, doit avoir, dans un sens différent, l'importance de l'Enterrement. » Autour de ces pages maîtresses, plusieurs centaines de paysages composent comme un poème de la nature. Aussi variés que les motifs dont ils s'inspirent, des « remises » ténébreuses des environs d'Ornans, le pays natal de Courbet, aux plages transparentes de Trouville et d'Étretat, de l'été languedocien aux neiges bleues de l'hiver comtois, ils témoignent d'une sensibilité à l'élémentaire qu'on retrouve dans tous les genres abordés par Courbet. Dans les natures mortes, les fruits et les fleurs prolifèrent, s'enflent et palpitent avec le dynamisme triomphal de la nature. Dans certaines figures de femmes, par exemple le portrait de Jo, la rousse Irlandaise (1865 ?, Metropolitan Museum, New York) ou les dormeuses enlacées du Sommeil (1866, Petit Palais, Paris), les membres, les seins, les chevelures ondulent et rebondissent comme sous la poussée de la houle. Mais cette franche sensualité n'est pas une tonalité exclusive. Les portraits[...]
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Écrit par
- Pierre GEORGEL : conservateur en chef du Patrimoine
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