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COURRIER DADA, Raoul Hausmann Fiche de lecture

« Dada est plus que Dada »

« Dada n'eut pas de naissance du tout, il existait depuis longtemps à l'état préexistant, comme Socrate le dit de l'âme. » Le détachement qu'exprime Hausmann vis-à-vis des autres dadaïstes, et qui est sans doute en partie responsable de son isolement, est lié au questionnement humaniste qui traverse son œuvre, comme celles de Ball et de Schwitters. D'un côté, l'artiste se réclame explicitement de la tradition romantique de Novalis, d'E. T. A. Hoffmann, d'Achim von Arnim, premiers poètes, à ses yeux, de l'inconscient. De l'autre, il invite à penser une origine multiculturelle et multiethnique de Dada, qui ne renierait pas les enjeux spiritualistes de l'expressionnisme. Avec le projet non abouti de la revue PIN, lancé avec Schwitters en 1946, Hausmann avait déjà entrepris de développer ses idées formulées au début des années 1920, en faveur d'une sorte de pan-sensorialité artistique. Son manifeste « Présentisme », publié en 1921 (et repris dans Courrier Dada), s'inspirait en effet du futuriste Filippo Tommaso Marinetti et de son manifeste « Le Tactilisme » (paru quelques mois auparavant) pour réclamer « l'élargissement et la conquête de tous nos sens ». Les technologies électriques, modifiant nos relations au temps et à l'espace par des phénomènes tels que l'accélération cinétique et l'amplification sonore, sont interprétées par Hausmann comme une extension inédite des facultés tactiles de l'homme, et donc de son mouvement « excentrique » de « saisie » du monde. Un « art haptique », pensé en termes de collage généralisé, correspondrait au fait que « le sens du toucher est mêlé à tous nos sens, ou plutôt qu'il est la base décisive de tous nos sens ». Courrier Dada procède lui-même de cette philosophie : les allers-retours énergiques dans l'histoire construisent une totalité contrastée, fondée sur l'alternance vivace de la proximité et de l'éloignement vis-à-vis de la matière dont il traite. Militant en faveur de la liberté trans-temporelle de l'esprit Dada, l'artiste livre ici un véritable legs aux générations qui ne tarderont pas à reprendre à leur compte cette leçon de créativité débridée (le lettrisme, mais aussi et surtout le mouvement Fluxus) : « Moi, je dis que Dada est une attitude spirituelle et pratique qui n'a pas d'équivalent au xxe siècle. Et c'est beaucoup. »

— Marcella LISTA

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Écrit par

  • : docteur en histoire de l'art, responsable de programmation au musée du Louvre

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