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COURS DE POÉTIQUE (P. Valéry) Fiche de lecture

Le pari de l’inutile

Ce faisant, Paul Valéry interroge depuis sa pratique poétique le pourquoi des œuvres plus encore que le comment qui les constitue. Ce qui, de facto, l’amène à questionner la nécessité vitale d’un geste provenant de la nuit des temps pariétaux, étant entendu que ce geste est en soi totalement inutile au regard de « l’ordre économique matériel », mais qu’il se révèle consubstantiel à l’être de langage qu’est l’homme. Ce dernier s’individualise dans et par le langage, et c’est là que commence son « aventure » spirituelle, provoquant l’ouverture sur un « infini esthétique » dans le monde fini qui est le sien. Ce faisant, l’humanité a renoncé, « sans le savoir et sans le vouloir, à la stabilité à laquelle elle pouvait tendre » et qui seule aurait permis de concevoir « une humanité comme une fourmilière ou une ruche d’abeilles ».

Résolument décapante, se refusant à la facilité traditionnelle de mots aussi flous que ceux de « style » ou « d’inspiration » – l’inspiration s’il en demeure ici ne provient de rien d’autre que du « faire » lui-même, de la part d’inattendu qu’il produit –, l’entreprise de Valéry a « pour objet de former une idée aussi exacte que possible des conditions d’existence et de développement de la littérature », une fois distinguées les « œuvres qui sont comme créées par leur public (dont elles remplissent l’attente et sont ainsi presque déterminées par la connaissance de celle-ci) » et celles qui, « au contraire, tendent à créer leur public », qui sont bien évidemment les seules à permettre d’examiner les « conditions d’existence » de la littérature « tour à tour dans l’intime travail de l’auteur et dans l’intime réaction d’un lecteur ».

L’apport décisif de Valéry n’est pas tant de penser le geste artistique, ce qu’ont fait avant et après lui de nombreux artistes, que d’être porté par une ambition magnifique de démesure qu’il a poursuivie avec entêtement, malgré les soucis de santé, la débâcle et l’Occupation traversée tête haute : constituer, fût-ce à tâtons, le socle d’une pensée purement artistique. À partir d’un questionnement enfantin, et à défaut de changer la face de la littérature, il apporte un éclairage révolutionnaire sur les aléas du geste de création, seul moyen qu’ait l’homme d’affronter l’inconnu en s’aventurant sur le terrain de jeu naturel de l’artiste, l’ignorance collective, puisque « l’imagination n’est possible que comme liberté laissée par quelque ignorance ».

— Bertrand LECLAIR

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