COURTOISIE
L'amour courtois
Un nouvel art d'aimer
La courtoisie concerne en effet, de façon particulière, les rapports entre les sexes. Elle s'oppose à une situation de fait que nous entrevoyons à travers les « chansons de geste », poèmes dont la thématique remonte, pour l'essentiel, au milieu du xie siècle, sinon plus haut encore : mépris des attachements féminins, indignes d'un chevalier, indifférence à la volonté de la femme et complète impudeur de parole. Les mœurs, pendant longtemps encore, consacrent la dépendance totale de la femme, attribuant au mari un droit de correction à peine limité, livrent la fille à la volonté de son père, puis à l'époux qu'il lui choisit. Quoique, depuis la fin du xie siècle, les exceptions à cette règle deviennent de plus en plus nombreuses, l'idéal courtois représente sur ce point une insurrection contre la réalité dominante. Une fiction harmonieuse se substitue à celle-ci, dans le jeu de la cour. Une place d'honneur y est faite à la libre entente amoureuse et au don sexuel réciproque. En d'autres termes, la courtoisie comporte une prédisposition générale à l'amour. Toutefois, ici aussi, une opposition se marque entre le Nord et le Midi. Dans le Nord, l'amour apparaît plutôt comme l'aboutissement, l'épanouissement de la conquête de soi que représente l'acquisition des qualités courtoises. Dans le Midi, l'amour est la source de la cortezia ; celle-ci trouve en lui son aliment et sa justification. Cette différence entraîne des conséquences que les médiévistes, jusqu'à une époque récente, ont eu le tort de négliger. C'est ainsi qu'ils ont généralisé sans nuances l'expression arbitraire d'« amour courtois » (créée vers 1880 par Gaston Paris !), y embrassant des faits complètement hétérogènes. Dans la tradition propre du Nord, la pratique courtoise de l'amour consiste à appliquer aux relations entre homme et femme les vertus de générosité, de discrétion et de fidélité mutuelle qu'exige désormais la vie de cour. Cette conversion implique un art d'aimer assez subtil, aux gentillesses parfois raffinées et qui n'excluent pas de grandes passions, tant que celles-ci restent maîtrisées. L'amour se situe ainsi au sein d'une existence, qu'il anime et éclaire mais qui le dépasse. Il est notable que l'œuvre presque entière de Chrétien de Troyes, principal écrivain courtois de langue française, a pour ressort principal l'amour conjugal, sa croissance, ses cheminements et ses contradictions.
La fin'amor
Dans le Midi, cet amour avec lequel se confond l'existence courtoise porte un nom : fin'amor (l'adjectif fina implique l'idée d'un achèvement). C'est là un terme quasi technique, désignant un type de relation sentimentale et érotique, relativement fixe dans ses traits fondamentaux, en dépit des colorations multiples qu'il peut tenir des tempéraments individuels. La fin'amor est adultère, en imagination sinon toujours en fait. Le mariage est conçu en effet comme l'un des éléments de la contrainte sociale, alors que la courtoisie repose sur le mérite et le libre don. Toute situation amoureuse individuelle est pensée et exprimée en vertu d'un schème, d'origine métaphorique, emprunté aux structures féodales : la femme est suzerain (on l'appelle midons, « mon seigneur », au masculin), l'homme est son vassal. Le lien amoureux s'exprime, du côté de la femme, par les termes juridiques de saisie, saisir ; du côté de l'homme, par service, servir. Le serment de fidélité, le baiser même, quel que soit leur sens érotique, comportent une valeur contractuelle. La « dame » (de domina, proprement « l'épouse du maître ») apparaît donc toujours comme haut placée par rapport à celui qui la[...]
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Écrit par
- Paul ZUMTHOR : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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