COURTOISIE
La poésie courtoise
Un fait collectif d'expression
La courtoisie, et spécialement la fin'amor, ne nous sont guère connues que par leurs reflets dans la poésie du xiie siècle, de sorte que la question de leurs origines peut difficilement être dissociée des nombreux problèmes techniques relatifs à la constitution des formes poétiques correspondantes. La courtoisie revêt ainsi, aux yeux de l'observateur moderne, un caractère spécifiquement « littéraire ». On doit bien admettre que les infrastructures sociales ont précédé la littérature ; mais celle-ci, surtout à une époque aussi formaliste que le xiie siècle, possède une inertie et une rigueur propres, qui lui permettent de se maintenir en vertu de lois intrinsèques et, à la longue, d'influer sur les comportements. Il est pratiquement impossible de tracer la ligne de démarcation entre la convention poétique et l'expérience individuelle. La biographie de quelques grands personnages du xiie siècle révèle des contradictions flagrantes. Mais l'abondance et l'homogénéité de la poésie courtoise, la permanence de ses thèmes, la rapidité de sa diffusion dans toute l'Europe occidentale lui confèrent une incontestable valeur de témoignage. Elle est, au sens le plus fort du terme, un fait collectif d'expression : ses racines, ses connotations, ses prolongements mentaux et sociaux sont totalement impliqués dans un langage, que nous percevons principalement au niveau de la poésie. Mais ce langage imprégna les idiomes européens dans la vigueur de leur jeunesse ; et ses restes, aujourd'hui encore, véhiculant des formes de pensée depuis longtemps devenues banales, constituent, dans la plupart des langues occidentales, le fonds stable du vocabulaire de la politesse, de la sensibilité et de l'érotisme.
La société courtoise se forma au sein d'un monde qui déjà possédait, depuis un, deux ou trois siècles, ses traditions poétiques en langue vulgaire : folklore de chansons lyriques dont nous ignorons à peu près tout ; poésie religieuse fondée sur la liturgie ; épopée, peut-être issue des premiers affrontements militaires avec l'Islam. Il est difficile de préciser dans quelle mesure ce furent là des facteurs (certainement indirects) de la soudaine mutation historique que représenta la constitution, au xiie siècle, d'une poésie typique, émanée de la collectivité des cours et destinée à son usage. Mutation qui a les apparences d'un commencement absolu, au point que certains médiévistes, comme R. Bezzola, ont proposé d'y voir l'invention personnelle d'un très petit nombre de poètes de génie.
Le développement du « roman »
Cette poésie revêt deux formes, d'origines géographiques différentes. La première est ce que l'on a nommé le « grand chant courtois », poésie lyrique musicale dont la forme type est la chanson(en provençal : vers ou canso). Les plus anciens exemples datent d'environ 1100. Les créateurs en furent, à en juger par les textes subsistants, des chanteurs occitans du Limousin, du Bordelais et de la Gascogne, qui s'intitulèrent eux-mêmes « compositeurs » (en provençal : trobadors). Pour l'essentiel, leur poésie est une exaltation de la fin'amor. En territoire de langue française, c'est à partir de 1150 que se dégagea, au cours d'un processus très rapide, une forme poétique narrative, alors sans équivalent dans le Midi : celle que nous appelons, d'un terme très ambigu, le « roman ».
« Grand chant courtois » et « roman » ont en commun une fonction sociale, qui est de sceller, par le moyen d'une adhésion collective à un ensemble de valeurs (valeurs de beauté, de sentiments et de jeu), la communauté de la cour. Par leur nature profonde, ils diffèrent beaucoup. La chanson de troubadours tend à s'élaborer (à la manière de la [...]
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Écrit par
- Paul ZUMTHOR : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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