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COURTOISIE

Déclin de la courtoisie

Dans le Midi, la croisade dite des Albigeois ruina, dans la première moitié du xiiie siècle, la courtoisie occitane, en détruisant son substrat sociologique. Sous sa forme française, la courtoisie survécut, non sans rapidement se modifier. La situation économique et politique en effet a changé. La petite noblesse chevaleresque s'effrite en tant que classe ; pouvoir et richesse se concentrent dans un nombre de plus en plus limité de cours. La bourgeoisie urbaine, puissance montante, s'empare de certaines formes de sociabilité courtoise, en les réduisant à une simple étiquette. Même évolution chez les princes, pour des raisons complémentaires, tenant à une sorte de rigorisme aristocratique. Cette disposition s'accentuera au xive siècle. Au xve siècle, parmi les malheurs de la guerre de Cent Ans, ce qui subsistera çà et là, dans la plus haute noblesse, des manières courtoises de vivre, de sentir, de s'exprimer, ne constituera plus guère qu'un vernis mondain, ou bien un mythe relatif à quelque glorieux passé qu'on feint de faire revivre. Cette dernière courtoisie, intégrée à la culture européenne, fera preuve d'une étonnante résistance à l'usure, et ses traces, même recouvertes par l'influence d'autres mœurs, n'en disparaîtront jamais complètement.

Le <it>Roman de la Rose</it> - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Le Roman de la Rose

Le « grand chant courtois » se maintint plus longtemps sous sa forme primitive, mais il se diversifia. Tantôt s'accentue le caractère traditionnel et subtil de la langue et des thèmes. Tantôt s'y adjoint un didactisme bardé d'allégories. Celui-ci du reste s'émancipe très tôt et produit vers 1240 l'œuvre à juste titre la plus illustre de ce siècle, le Roman de la Rose, dont l'influence marqua l'Europe entière jusqu'en plein xvie siècle. Tantôt enfin, la chanson s'évade dans le mysticisme. Un abbé soissonnais, grand poète, Gautier de Coinci († 1136), avait inauguré cette veine nouvelle en consacrant à la Vierge une série de chansons dont la forme est du type courtois le plus pur. Au xive siècle, la dissociation qui s'opérera, entre poésie et musique, mettra un terme à la tradition lyrique courtoise proprement dite. Mais, entre-temps, celle-ci aura engendré le dolce stil nuovo italien et, par-delà, la poésie de Pétrarque. En France même, il en subsistera chez les poètes, jusqu'à la fin du xve siècle, une manière de dire et quelques motifs ornementaux.

Quant au roman courtois (quoique, sous sa forme primitive, on en rencontre des exemples isolés jusque vers 1400), il se désagrège au cours du xive siècle, non sans avoir imprégné de ses thèmes les dernières chansons de geste. De là sortirent, par la plume de compilateurs, les « romans de chevalerie » de nos xve et xvie siècles. Mais, dès 1230-1260, l'« aventure » a perdu, pour les « romanciers », son sens existentiel ; elle se réduit, soit à un enchaînement de symboles (ainsi, dans la Quête du Graal), soit à une suite d'anecdotes curieuses.

À vrai dire, dans la première moitié du xiiie siècle, on ne peut plus guère parler de littérature courtoise : d'une part, il n'y a plus de société courtoise définissable ; d'autre part, tous les genres littéraires sont plus ou moins profondément marqués par un langage et une imagerie d'origine courtoise. Les manuscrits de cette époque (et jusque vers 1350) nous ont conservé un grand nombre de textes en vers ou en prose, parfois très ornés (parfois même véritablement poétiques), « arts d'amour », « arts d'honneur », « éloges des dames », « arts de courtoisie », et jusqu'à des « contenances de table », ressassant pour les gens à la mode les motifs d'une tradition épuisée.

— Paul ZUMTHOR

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Écrit par

  • : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal
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Le <it>Roman de la Rose</it> - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Le Roman de la Rose

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