CRAVAN FABIAN AVENARIUS LLOYD dit ARTHUR (1887-1920)
D'une certaine manière, l'œuvre de Cravan a incarné la face la plus nihiliste et la plus négatrice du dadaïsme. Né à Lausanne, sujet britannique, Fabian Avenarius Lloyd arrive à Paris en 1909 et adopte le pseudonyme d'Arthur Cravan. Il va fréquenter dans la capitale plusieurs écrivains et peintres, parmi lesquels Van Dongen, Salmon et Cendrars. En 1912, il fait paraître la revue Maintenant, particulièrement agressive, qui s'oppose à toutes les valeurs établies. Cette publication s'arrêtera au quatrième numéro, en rendant toutefois célèbre son directeur-rédacteur dans les milieux intellectuels de Paris. On l'admirait parce qu'il attaquait la société bourgeoise et surtout l'art, suprême imposture d'après Cravan. Celui-ci s'en prenait tout particulièrement à l'intellectualisme superficiel et narcissique de certains cercles parisiens des années 1910.
Cependant, Cravan, personnage hors série, ne s'est pas limité au simple domaine artistique, et son attitude corrosive s'est aussi manifestée dans les autres aspects de la vie. En pratiquant une sorte d'anarchisme, Cravan, qui se vantait de vols et d'attaques à main armée, traversait l'Europe entière, muni de faux passeports, en pleine guerre de 1914-1918, la mystification permanente étant un de ses modes de vie de prédilection. Ce personnage, qui détruisait avec une élégance extrême toutes les tendances et tous les artistes, a montré cependant une intelligence profonde de l'avant-garde picturale de son temps. Sa personnalité était, d'autre part, destinée à fasciner les dadaïstes, et, en 1917, il retrouvait à New York Duchamp et Picabia.
Parmi d'autres exploits, Cravan avait provoqué en combat singulier le champion du monde des poids lourds à Madrid (1916) ; ce geste gratuit (qui se solda par un échec) fait partie d'une volonté de vivre l'absurde, caractéristique de sa personnalité. Il mourut lors d'une expédition dans la mer des Caraïbes, où il s'était rendu à bord d'un petit bateau.
La thèse soutenant que tout art est superflu et même dangereux, car il est l'expression d'une société agonisante, et que seule compte l'intervention de la personne — c'est-à-dire : la vie au lieu de l'art —, a fait de Cravan un exemple admiré par la jeunesse de l'époque. La vie en soi, sans sublimation, a été de surcroît, depuis le dadaïsme, un des éléments de l'action de certains groupes d'avant-garde. Ainsi, le happening d'Alan Kaprow semble poursuivre une nouvelle valeur du « momentané » qui n'est pas sans évoquer l'attitude ludique de Cravan. Cependant, c'est dans l'« art du comportement », dans l'art corporel, que nous pouvons retrouver les échos les plus nets de l'attitude de Cravan. Lorsque Gina Pane, Michel Journiac ou Tania Mouraud utilisent le comportement et le corps comme mode d'expression, nous sommes tentés de reconnaître, « codée » cette fois, la volonté de liberté totale que Cravan a voulu spontanément retrouver au début du xxe siècle.
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Écrit par
- Charles SALA : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
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