CRÉATION La création dans les synthèses philosophico-religieuses
Néant et Création ex nihilo
L'idée de néant se prête à des critiques relativement faciles qui dénoncent, en son emploi, un néant de pensée ou d'idée, un pseudo-problème : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? dont l'illusion s'imposerait en vertu d'une habitude psychologique, qui nous condamne à aller du vide au plein et à méconnaître la nouveauté radicale. Si nous nous référons aux théories philosophiques ou théologiques de la Création, il semblerait plutôt qu'elles aient tenté de faire droit à la nouveauté radicale (en deçà de toute combinatoire) et d'échapper aux prestiges du « plein » et du « tout ». Le néant ne serait plus la réification de la négation mais une précaution critique, une fonction purificatrice, qui peut jouer sur divers plans, pour permettre une visée correcte de ce qui échappe à la représentation. On peut en distinguer deux usages étroitement connexes. Le premier vise à écarter du principe, quel qu'il soit, toute détermination dérivée. C'est ainsi qu'on dira de l'Un qu'il est le néant de tout ce qui procède de lui ; ou que l'âme « intellectuelle » n'est rien de ce qu'elle connaît ; ou que la « matière » n'est rien de ce dont elle est la matière. Le second usage concerne plus directement le problème de la Création. L'expression singulière : « faire quelque chose de rien » (creare ex nihilo), si fréquente dans le discours du théologien chrétien, corrige l'image démiurgique spontanée qui présuppose à l'action créatrice une matière-matériau, si subtile qu'on la conçoive. Loin d'exiger un substrat quelconque, qui échapperait à l'action créatrice et en limiterait la toute-puissance, elle exclut tout présupposé en vue justement de penser « l'émanation de l'être universel par rapport au premier principe ». Elle sauvegarde ainsi et l'absolu du Créateur et la nouveauté radicale à laquelle tente de s'égaler la pensée de l'homme. La question du « néant » est plus délicate à saisir en certains textes de spéculation indienne (de Çankara en particulier). Le néant intervient sous la forme de Mâyâ qu'on ne saurait assimiler ni à un « espace » ni à une « matière », mais qui ne rejoint pas davantage le ex nihilo de la tradition judéo-chrétienne. Ni être ni non-être, ni identique à l'Être ni distincte de lui, Mâyâ ou l'« illusion » échappe à toute détermination catégoriale. Elle n'est pas non plus une créature qui serait le premier-né de l'Absolu, sa « première participation ». Peut-être faut-il y voir une sorte de « résistance originelle », assez transparente à l'Être pour en médiatiser la générosité ; assez opaque pour condamner cette générosité à se disperser dans une infinité de manifestations déterminées et limitantes. Sous ses expressions divergentes, la pensée de l'origine rencontre sa propre limite qui n'est autre que son incapacité à connaître tant le principe que le dérivé en tant que tel. En ce sens, toutes les spéculations sur l'origine se présentent tôt ou tard comme une critique de la raison en son usage transcendant.
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Écrit par
- Stanislas BRETON : docteur ès lettres, docteur en philosophie, docteur en théologie, professeur honoraire aux Instituts catholiques de Paris et Lyon
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