CRÉATION Les mythes de la création
Création par la pensée, la parole et l'échauffement d'un dieu
Selon un mythe des Indiens Winnebago, le Père créa le monde par la pensée. Il pensa et désira la lumière et la Terre – et la lumière et la Terre apparurent. Les Omaha estiment que « au commencement, toutes les choses étaient dans la pensée de Wakonda. Toutes les créatures, l'homme inclus, étaient des esprits. » Finalement Wakonda créa la Terre, et alors « les esprits descendirent et devinrent chair et sang ». Les Uitoto de la Colombie ont élaboré une cosmogonie encore plus audacieuse : au commencement, tout était « apparence, phantasme, illusion ». Le Père lui-même rêvait, mais par le truchement de ses rêves il réussit à capturer ces phantasmes et les transforma en réalités palpables. Ainsi le monde vint à l'existence.
Un mythe cosmogonique polynésien décrit un commencement où n'existaient que les Eaux et les Ténèbres. Io, le Dieu suprême, sépara les Eaux par la puissance de la pensée et de ses paroles, et créa le Ciel et la Terre. Il dit : « Que les Eaux se séparent, que les Cieux se forment, que la terre soit ! » – et aussitôt apparut la lumière. Une cosmogonie similaire se rencontre en Égypte, élaborée surtout dans la théologie memphite : le dieu Ptah créa l'Univers par son cœur (c'est-à-dire son esprit et sa volonté) et par sa langue (son Verbe).
Quant à la création par l'échauffement (et la sudation) d'un être divin, le mythe est attesté surtout dans les cosmogonies des Indiens de l'Amérique du Nord. Mais le thème se rencontre également dans les traditions védiques et brahmaniques. Selon le fameux hymne du Rig Veda, x, 129, au commencement il n'existait ni le Non-Être ni l'Être ; dans les ténèbres et l'indistinct l'Un prit naissance par l'échauffement. Le Shatapatha Brâhmana explique l'apparition de l'Œuf d'or comme le résultat de l'« ardeur » des Eaux primordiales. Selon le Taittirîya Brâhmana, « au commencement rien n'existait. Le Ciel n'existait pas, ni l'espace intermédiaire. Le Non-Être seul existant se fit esprit en disant : « Que je sois. » Il s'échauffa ; de cet échauffement naquit la fumée. Il s'échauffa davantage ; de cet échauffement naquit le feu. Par échauffement progressif naissent la lumière, puis les éléments, finalement Prajâpati, qui créa tout l'univers.
Un thème similaire est la création par émanation ou par la transformation de l'être divin en un agent cosmique actif. Les cosmogonies par émanation ont été élaborées surtout dans l'Égypte ancienne. La création par la transformation de l'être divin présente de nombreuses variantes. En voici un exemple typique, emprunté à la mythologie Zuni : au commencement, il n'existait que Awonawilona, le Créateur. Il se transforma en Soleil, et, de sa propre substance, il produisit deux germes avec lesquels il imprégna les Eaux. Une écume apparut sur les vagues, qui donna forme plus tard au Père-Ciel et à la Terre-Mère.
L'élément commun de toutes ces cosmogonies est l'idée que le monde dérive directement du Créateur : de ses rêves, de sa pensée, (ou de son cœur), de son verbe, de sa transpiration (« échauffement ») de sa substance. La puissance démiurgique du Créateur se manifeste indifféremment par son « esprit » (rêve, pensée, verbe) ou par son « corps » (sueur, transformation, émanation). Seulement dans les spéculations cosmogoniques indiennes, la puissance créatrice de l'échauffement (« l'ardeur » obtenue par l'ascèse) semble précéder l'apparition de l'Être et, par conséquent, du principe créateur.
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Écrit par
- Mircea ELIADE : professeur à l'université de Chicago
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