CRÉATION Les mythes de la création
Le démembrement d'un géant ou d'un monstre
L'immolation librement consentie
L'exemple classique est la Création par le sacrifice du Purusha (littéralement, l'« Homme »), présenté dans le célèbre hymne X, 90 du Rig Veda. Ce sont les dieux qui ont accompli ce sacrifice, en démembrant le géant primordial. Sa tête devint le Soleil, ses pieds donnèrent naissance à la Terre, son oreille devint les orients, de sa conscience naquit la Lune, et de son souffle le vent. C'est également de son corps que proviennent les quatre castes : le brahmane de sa bouche, le guerrier de ses bras, l'artisan de ses cuisses et le serviteur (çûdra) de ses pieds. En outre, le sacrifice du Purusha produisit les strophes, les mélodies et les mètres, et également les victimes et les substances sacrificielles.
Dans la mythologie scandinave, les dieux Ases sacrifient et dépècent le géant Ymir. De son crâne ils font la voûte céleste, de sa chair la terre, de sa sueur la mer, de ses os les montagnes, de ses cheveux les arbres.
Quant au mythe chinois de P'an-ku, il est attesté seulement dans des textes tardifs ; on ignore si, dans sa forme originelle, il comportait ou non un sacrifice. Selon les versions qui nous ont été transmises, le corps du géant, à sa mort, se métamorphosa en Cosmos : sa tête devint un pic sacré, ses yeux devinrent le Soleil et la Lune, sa graisse les fleuves et les mers, ses cheveux et ses poils les arbres et autres végétaux.
On retrouve le même motif en Iran, mais radicalement réinterprété et intégré dans la théologie mazdéenne. D'après le Grand Bundahishn, l'Univers prit naissance dans le corps d'Ormuzd : ayant au début la forme d'une goutte de sperme, il se développa comme un embryon pendant 3 000 ans et fut finalement accouché par le dieu. Selon la Rivâyat pehlevie du Dâtastân î dênîk, l'Univers fut engendré dans le corps d'Ormuzd, et s'identifiait en quelque sorte avec lui, puisque le texte précise que le dieu créa le Ciel à partir de sa tête, l'eau de ses larmes, les plantes de ses cheveux, le feu de son esprit.
Bien que développés dans des directions légèrement divergentes, ces mythes cosmogoniques ont quelques éléments essentiels communs. Le plus important est que le macranthrope primordial dérive lui-même d'un œuf ou d'un germe. Cela revient à dire que la création du monde commence comme une embryologie et s'achève par la mise à mort du macranthrope qui, même à son stade adulte, garde encore un aspect embryonnaire. Les images de la semence, de l'œuf et du fœtus se superposent ou se complètent l'une l'autre.
Victoire du dieu et morcellement du monstre
Quant aux cosmogonies par démembrement d'un être primordial, l'exemple classique en est offert par l'Enuma-elish : en terrassant le monstre marin Tiamat, Marduk le pourfendit et des deux moitiés de son corps façonna le Ciel et la Terre. Il ne s'agit plus d'une immolation consentie, mais d'un combat entre deux champions, incarnant deux principes antagoniques. Dans l'Enuma-elish, le thème cosmogonique est intégré dans une idéologie politique : la promotion de Marduk au rang de Dieu suprême. Le texte, tel que nous le connaissons aujourd'hui, est le résultat d'une réinterprétation ayant comme but l'exaltation politique de Babylone.
Le combat entre Tiamat et Marduk, ou plus exactement le conflit entre deux générations de dieux, explique l'origine du Cosmos tel qu'il est aujourd'hui et raconte également l'origine de l'homme. Mais on ne peut pas dire que, avant le démembrement de Tiamat, un certain monde n'existait pas. Au début, Tiamat cumulait toutes les images exemplaires du Chaos : il était à la fois Océan primordial, dragon femelle, être androgyne, monstre et embryon. Mais une première création avait[...]
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Écrit par
- Mircea ELIADE : professeur à l'université de Chicago
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Médias
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