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CRÉATION LITTÉRAIRE

Toutes les démarches de notre pensée occidentale et de nos analyses sont menacées, depuis des siècles, par la simplification dualiste des problèmes et par l'effort de réduction moniste des solutions. On commence – sinon depuis Aristote, du moins depuis la scolastique médiévale et particulièrement depuis Guillaume d'Auvergne – à poser A, puis B en tant que « non-A » ; dans un second temps on s'efforce d'expliquer A par B ou, réciproquement, B par A. Depuis le xviie siècle, dans le sillage du cartésianisme, et depuis la fin du xviiie siècle, dans la mouvance des « synthèses » des philosophies de l'histoire, on oppose l'ensemble « positif » des faits expérimentaux – ou du moins perceptifs – et des « données » événementielles, conceptualisées de façon simple sinon complète, à l'ensemble des impressions vagues et subjectives, à l'évanescence des thèmes du rêve, à celle des désirs de la psyché, des numinosités absurdes de l'archétype, etc.

Cette façon pernicieuse de penser a été cependant lentement remise en question par la révolution épistémologique qu'introduit dans les sciences de la matière le « nouvel esprit scientifique ». Cette révolution, qui met en accusation le dualisme et la réduction causaliste qui en découle, a pu être battue en brèche avec plus ou moins de netteté dans le domaine des sciences anthropologiques contemporaines. Il faut insister pourtant sur la fécondité, dans la science de la littérature, ou pour la simple critique littéraire, d'une remise en question de l'axiomatique dualiste. Car le dualisme et son réductionnisme afférent sévissent dans la critique littéraire, qui ne connaît trop souvent – et paradoxalement – que deux types d'analyse, excluant tous deux l'œuvre dans sa dimension créatrice. Le dualisme décompose l'œuvre littéraire selon le spectre de ses facteurs supposés : soit les facteurs psychologiques – « psychanalytiques » –, voire existentiels, soit les facteurs socio-historiques. L'explication d'une œuvre littéraire se réduit alors à la recherche de ses « causes » objectives (Lukács, Goldmann...) ou subjectives (Mauron, Baudouin, Doubrovsky...).

Spécificité de l'œuvre d'art

I1 faut affirmer d'entrée que là comme ailleurs – en physique, en biologie, en sociologie, en histoire – réside un troisième terme déterminant. Entre l'objectif et le subjectif chers à un certain dualisme existe un impératif, qui, pour n'être pas « catégorique », n'en fait pas moins nécessité. Entre le champ de l'objectivité des faits, des données, des événements sociaux et historiques et celui de la subjectivité d'ordre psychologique ou existentiel, le champ de l'œuvre scientifique, artistique ou littéraire, obéit à un impératif : non seulement surgit un « Fiat lux ! », mais la lumière ainsi créée – modèle mythique de toute création – est en elle-même un « fiat » : celui de tous les éclairages, de toutes les illuminations.

Insistons sur ce renversement de perspective heuristique qui est aussi un renversement des valeurs. Données sociales, héritages culturels, sédiments lexicaux, moments historiques, instances économiques ou politiques, « problèmes » psychologiques, situations psychanalytiques ou existentielles ne sont que des ingrédients, des ornements, des accessoires qui gravitent autour de l'impératif de l'œuvre. De cette primauté Miguel de Unamuno (La Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança) avait une forte conscience, lorsqu'il assurait que l'immortel chef-d'œuvre de Cervantès passait de loin et Cervantès lui-même, et l'Espagne et le « moment » socio-historique qu'a si bien repéré Michel Foucault (Les Mots et les Choses). Ce qui se dresse impérativement, dans une[...]

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