CRÉATION LITTÉRAIRE
Aurore
Lieux élus, personnages voués à une incessante relecture, temps kérigmatique transmuant l'événement d'une pauvre histoire en avènement d'une vérité arrachée aux plats déterminismes ; parole, enfin, qui tente d'infuser plus de vérité vive aux mots et aux grammaires de la vulgaire communication pour en faire un livre de révélation : la création d'un livre ne relève ni de la topographie, ni du patchwork des petits faits psychologiques, ni des mornes déterminations chronologiques, ni même du jeu mécanique des mots et des syntaxes. Elle ne se laisse pas circonscrire par l'étroite psychologie de l'auteur, champ de la psychanalyse, ni par son « milieu » ou par son « moment », que repère la sociologie ou l'histoire. L'œuvre ne dépend de rien, elle inaugure un monde. Elle est impérative pour l'auteur voué au « terrible labeur » aussi bien que pour le lecteur. Elle transfigure l'un et l'autre. La tâche de l'artiste n'est-elle pas de transfigurer, de transmuer – l'alchimiste est l'artiste par excellence – la matière grossière et confuse –materia grossa et confusa – en un métal étincelant ? Toute conclusion d'un poète doit être celle de Baudelaire : « Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or. »
Ce qui ne veut nullement dire que ce monde ainsi transfiguré soit inaccessible à une lecture « en profondeur », suivant les méthodes de l'analyse littéraire... à condition toutefois de ne jamais perdre de vue qu'aucune méthode réductrice ne peut satisfaire l'ambition de l'écriture qui est d'être lue comme une vérité donnée. En revanche, les méthodes qui respectent l'élan de l'œuvre et se veulent exégèses, c'est-à-dire reconduction au sens, amplification d'une première lecture, respectent l'œuvre. L'analyse doit se tenir à la hauteur des transcendances de la transfiguration. Aussi, plutôt que les psychocritiques et, à plus forte raison, que les réductions positivistes au « milieu » et au « moment », avons-nous prôné une méthode qui confronte telle œuvre aux plus hauts moments de l'expression littéraire, c'est-à-dire au mythe (Figures mythiques et visages de l'œuvre). Une œuvre littéraire est passible d'une mythocritique – sinon d'une mythanalyse – qui amplifie le tracé du récit en l'illuminant par les grands mythes – conscients ou inconscients, chez l'auteur comme chez le lecteur – qui s'affrontent aux grandes questions de la condition humaine : la souffrance, l'amour et la mort. Commenter « magistralement » un poème, un roman, une œuvre de théâtre, c'est avant tout invoquer les puissances de transfiguration qui ont guidé la plume de l'écrivain dans la création d'un monde qui dément la banalisation du monde. Certes, ce paradis – paradis perdu – n'est nullement étranger à la souffrance, à l'angoisse, à la jubilation de celui qui s'en fait le « voyant » et, mieux, qui tente de « donner à voir ». Encore une fois la transfiguration sur le Thabor de la page blanche est transcendance d'une immanente « figure ». Elle fait voir, à travers l'image littéraire et au-delà d'elle, le cortège d'émotions et de désirs qui fait étinceler la figure alors plus éclatante que la neige et le soleil. Dans le poème écrit et lu, la mort, la souffrance, l'angoisse, le désespoir et l'espérance, la joie et les peines, tout cela se compose comme dans un mythe ou dans la phrase musicale, en une jubilation secrète qui illumine ce que Bachelard nommait le « bonheur de lire ». Tout comme chez Mozart le génie musical, si bouleversant parce qu'il est attentif aux battements du cœur des hommes, transcende le scabreux livret de Così fan tutte[...]
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Écrit par
- Gilbert DURAND : professeur à l'université de Grenoble
Classification
Médias
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