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CRIA CUERVOS, film de Carlos Saura

Un film intimiste

Cria Cuervos vient de l'expression populaire espagnole « Cria cuervos y te sacarán los ojos », qui signifie « Élève des corbeaux et ils t'arracheront les yeux ». C'est un grand film sur la tristesse et la mélancolie de l'enfance. Le récit débute par une scène primitive. La fillette entend son père faire l'amour, mais c'est la maîtresse qu'elle surprend et qui fuit sans dire un mot.

Le travail de deuil de la mère, morte dans d'atroces souffrances que le réalisateur n'épargne pas à l'enfant, est à l'origine d'une rêverie permanente. Ana construit en hallucination la présence de sa mère, réincarnée et vivante, qui lui parle. Très adroitement, la mise en scène est au service du regard de la fillette. De longs panoramiques accompagnent ses mouvements dans la maison ou dans le parc où elle se promène. Le récit entremêle constamment les niveaux de réalités (le réel, l'onirique, le souvenir) et les temporalités (le présent, le passé, mais aussi le futur, Ana adulte vingt ans plus tard) sans le recours à la rhétorique traditionnelle (pas de fondus enchaînés ni de ralentis)

La mise en scène du jeu enfantin dans la forêt avec les deux sœurs met en abyme le pouvoir magique d'Ana qui les fait mourir et ressusciter, comme elle empoisonnera sa tante avec sa poudre maléfique.

Le lien à la mère est visuel mais aussi musical. Celle-ci était une grande pianiste, elle interprète pour Ana le thème sentimental et nostalgique que l'on a entendu pendant le générique. Mais Ana écoute seule à trois reprises une chanson célèbre, Porque' te vas. Cette chanson, interprétée par Jeanette, devient le symbole même du film, et de la tristesse de la fillette.

Carlos Saura est ici magistralement servi par le jeu de la petite Ana Torrent, ses regards intenses, son silence, et par sa ressemblance avec Géraldine Chaplin. Sa description de l'univers de la bourgeoisie franquiste et de l'éducation des petites filles est alors très marquée par l'influence d'Ingmar Bergman, celui de Cris et chuchotements (Viskningar och rop, 1972). Cette référence est explicite quand il met en scène la mort de la mère, sa souffrance et le drap taché de sang.

Le thème du dédoublement de la mère et de la fille est à la base de son film suivant, Élisa mon amour (Élisa vida mia, 1977), qui met en scène deux sœurs, dont l'une est interprétée par Géraldine Chaplin. L'actrice sera présente dans neuf films de son mari, Carlos Saura

— Michel MARIE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Autres références

  • SAURA CARLOS (1932-2023)

    • Écrit par
    • 1 122 mots
    • 2 médias

    Le réalisateur espagnol Carlos Saura, qui a souvent filmé des maisons isolées, vivait depuis longtemps dans une grande propriété située à Collado Mediano, dans la sierra de Guadarrama (au nord-ouest de Madrid), où il accumulait et réparait d’innombrables appareils photographiques. Cet expérimentateur...