CRIMINALITÉ
Contrairement aux apparences, le crime est une notion beaucoup plus complexe qu'on ne le croit généralement. Depuis que les questions de sécurité sont devenues un problème politique majeur se pose la question de la mesure et du classement des actes dits criminels. La question des instruments de connaissance est donc un enjeu stratégique particulièrement douloureux en France, à la différence d'autres nations : les utilisations scientifiques et politiques de ce qu'ils révèlent font l'objet d'annexions conflictuelles, les finalités des politiques de prévention et de répression qui en découlent étant au cœur des divergences d'appréciation des moyens. Pourtant, un dialogue entre agences administratives policières et sociologues du crime a commencé à se nouer depuis les années 2000, à la faveur des apports d'enquêtes dédiées aux victimes, qui renouvellent le champ de compréhension de la criminalité générale.
Crime et criminalité
Les notions de « crime » et de « criminalité » sont si polysémiques qu'il n'existe pas d'autre moyen que d'en proposer, à titre liminaire, une définition plutôt sociologique que juridique. Dans cette perspective, on considère comme criminels ou délinquants tous les comportements qu'un législateur incrimine en menaçant le responsable d'une peine. Dans cette définition, il n'existe pas de crime en soi. Un acte est qualifié de criminel sous l'action d'un pouvoir légitime qui sanctionne certains comportements. Pour des philosophes, des moralistes ou des juristes, la transgression d'un interdit peut être qualifiée de criminelle, indépendamment de la capacité des institutions à identifier plus ou moins correctement son auteur ; il en découle la croyance en l'existence d'une « criminalité réelle » qui serait uniquement constituée par le nombre total d'actes transgressés assortis d'une peine, que des auteurs auraient plus ou moins conscience d'avoir commis.
À côté de cette conception théorique d'une « criminalité réelle », qui existerait virtuellement sans le moindre commencement de preuve, existe une seconde conception, portée par les juristes : la « criminalité légale ». Celle-ci comprend l'ensemble des actes pénalisés dont les auteurs sont repérés par les institutions spécialisées dans leur identification et leur répression (statistiques judiciaires), et réprimés par des amendes ou des privations de liberté (statistiques pénitentiaires). Cette conception légaliste, extrêmement restrictive de la criminalité, ne tient compte, rigoureusement, que des auteurs reconnus responsables d'actes qualifiés de « crime ou délit », et sanctionnés à ce titre. Tous les « auteurs » présumés innocents jusqu'à ce que la justice les ait reconnus coupables devraient en toute rigueur être ignorés du champ de l'analyse institutionnelle. Or, à l'évidence, ce n'est jamais le cas, même parmi les juristes les plus légalistes. Tout se passe alors comme si l'on pouvait renverser la célèbre proposition du philosophe italien Cesare Beccaria (1738-1794) : « nullum crimen, nulla poena sine lege » (« nul crime, nulle peine sans loi »). En effet, dans notre système de justice pénale, les auteurs « suspects » sont virtuellement présumés coupables par les agences policières jusqu'à ce que la justice les ait innocentés. Les procédures du « plaider coupable » ne sont-elles pas la reconnaissance implicite de l'efficience d'un tel principe ? La notion intermédiaire de « criminalité apparente », qui prétend être l'entre-deux de « criminalité réelle » et de « criminalité légale », demeure tout aussi problématique.
Selon qu'ils sont victimes, policiers ou magistrats, les acteurs concernés ne qualifient pas de la même façon[...]
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Écrit par
- Frédéric OCQUETEAU : directeur de recherche au C.N.R.S. (Centre d'études et de recherches en science administrative)
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