CRIMINALITÉ
Dialogue entre scientifiques et gestionnaires
Hormis le contentieux d'atteintes aux personnes dont les agents dépositaires de l'autorité s'estiment eux-mêmes les victimes dans leurs actes d'interpellation, les comptages publics sous-estiment les violences verbales à l'égard des autres citoyens et surestiment de plus en plus les violences caractérisées agrégées dans les violences physiques.
Les premières constituent l'un des phénomènes sociaux les plus significatifs des dix dernières années dans ce domaine, si l'on accorde crédit aux déclarations de victimes appartenant aux couches moyennes de la population (bavardes devant les enquêteurs même si elles se plaignent peu à la police). Le sociologue Philippe Robert en conclut à la montée d'« une rugosité accrue des relations sociales », précisant que « les comptages officiels [auraient été conduits] à mesurer une sorte de violence moins caractérisée par la gravité des dommages physiques que par l'insubordination sociale ou la dépendance des victimes ».
Cette analyse sur le long terme remet partiellement en cause l'idée très répandue selon laquelle les polices maîtriseraient totalement par elles-mêmes leurs ordres de priorité répressive. En bonne orthodoxie néo-durkheimienne, il resterait à se demander si les victimes sont globalement et objectivement plus souvent atteintes que par le passé, ou si elles supportent simplement moins volontiers que naguère cette montée de l'« insubordination sociale » ou « rugosité accrue des relations sociales ». Pour le dire autrement, on doit se demander si les caractéristiques de nos sociétés d'aujourd'hui ne sont pas à la diminution des « seuils de tolérance » collectifs aux « incivilités des incivils » dans les espaces publics et semi-privés. Une chose est certaine : les victimes, en tant que nouveau groupe de pression actif au sein des politiques pénales ont réussi « à faire partager au législateur, les unes leur détresse, les autres leur aigreur ».
En attendant des enquêtes de confirmation ultérieure sur ce qui semble être devenu une tendance longue propre à la fin du xxe et au début du xxie siècle, l'O.N.D. se donne pour mission de rassurer un ministère de l'Intérieur soucieux de sortir la tête haute de l'exercice de comparaison des différentes sources de connaissance du crime. Les administrations policières paraissent, quant à elles, peu disposées à approfondir la connaissance des besoins du corps social en réaffectant les policiers sur les demandes insatiables de protection de différentes catégories de victimes dans la sphère publique. Car la défense des attributs de la souveraineté de la nation et de l'État, la lutte contre la grande criminalité de la police judiciaire et la lutte contre l'insécurité routière demeurent les priorités d'un modèle professionnel de police très centralisée, encore peu tourné vers les besoins de la société.
Or, si l'éthique de conviction guidant la science des socio-criminologues ne fut jamais tellement d'améliorer ou de raffiner les comptages policiers, bien qu'on ait pu noter un infléchissement intéressant de leur position à cet égard, la hiérarchie policière, quant à elle, apprend à s'en soucier, l'éthique de sa responsabilité lui dictant deux sortes de stratégies de communication en direction de l'électorat des « victimes » apeurées ou soucieuses. Il s'agit, d'une part, de rassurer les gens en affichant l'idée que les taux d'élucidation des faits signalés augmentent progressivement, prouvant ainsi que la sécurité publique est bien mobilisée et mieux pilotée pour interpeller les délinquants. Et d'autre part, de rassurer les syndicats de policiers en leur démontrant le caractère payant à la longue de la meilleure implication de leurs membres dans une répression du crime prouvée par la diminution[...]
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Écrit par
- Frédéric OCQUETEAU : directeur de recherche au C.N.R.S. (Centre d'études et de recherches en science administrative)
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