CRITIQUE ARCHITECTURALE
Supports et instances de la critique
Si, par comparaison avec la critique d'art dans son acception littéraire, l'on s'en tient au contraire à la définition de la critique comme description et jugement, on peut se demander si la critique architecturale est née au xixe siècle avec le développement de la presse spécialisée.
Avant le lancement de la première revue d'architecture en 1800, le Salon annuel (auquel les architectes exposent depuis 1791), contrôlé jusqu'en 1848 par l'Académie des beaux-arts, le prix de Rome, ainsi que les nombreux concours de l'École des beaux-arts forment des espaces d'exercice de la critique, autant que des instances symboliques de consécration professionnelle. Se multipliant en France entre 1830 et 1840, les revues s'érigent à la fois contre ces institutions et contre l'académisme promu par l'école ; elles publient des architectes et des typologies (immeubles à loyers, édifices « mineurs ») a priori exclus de ces circuits, et accordent une place au mouvement « gothique » contre les tenants du classicisme.
Les principales revues du xixe siècle, notamment la Revue générale de l'architecture et des travaux publics (1840-1890), traduisent une aspiration encyclopédique qui ferait du périodique un outil de connaissance avant tout destiné aux professionnels, et donc du commentaire critique un instrument pédagogique, prétendant se substituer à l'enseignement de l'école, jugé défaillant en matière de sciences et de techniques. Le commentaire critique a pour mission de relier art et utilité, dans un esprit positiviste confiant dans le progrès technique et scientifique, selon le credo de César Daly (1811-1894), directeur de la Revue générale. Mais cette objectivité revendiquée est démentie par l'engagement des articles en faveur de tendances : l'éclectisme, défendu par la Revue générale, ou le rationalisme structurel de Viollet-le-Duc, soutenu par l'Encyclopédie d'architecture (1850-1892) d'Adolphe Lance et Victor Calliat.
De tels combats idéologiques convoquent l'histoire de l'architecture et l'archéologie, auxquelles sont dévolues des rubriques entières, afin de construire la modernité architecturale du xixe siècle sur l'interprétation des styles du passé. À l'examen des constructions contemporaines incombe la tâche de restituer à l'architecture une lisibilité perdue, en une période d'incertitude sur le style, au moment de la consolidation de l'éclectisme. En ce sens, la critique permet non seulement aux architectes de se reconnaître entre eux (alors que les contours de la profession sont mal définis), mais elle revendique aussi un rôle dans l'espace public. Fondateur en 1885 et directeur de La Construction moderne, l'ingénieur Paul Planat assigne ainsi à la rubrique « Causeries d'architecture » la mission de relais entre la profession et le « public ». Or cette dernière notion reste vague, car on peut s'interroger sur la composition du lectorat de telles revues professionnelles, tant au xixe siècle qu'aujourd'hui, et donc sur l'audience de la critique architecturale.
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Écrit par
- Valérie DEVILLARD : docteur en sciences de l'information, université de Paris 2
- Hélène JANNIÈRE : docteur en histoire de l'art, enseignante à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Val-de-Seine
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