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CRITIQUE ARCHITECTURALE

La critique engagée et opératoire

Malgré ses engagements doctrinaux, la critique du xixe siècle affirme fonder son jugement didactique sur l'« accumulation des faits » et l'« expérience » : une telle ambition d'objectivité disparaît lors de la montée des avant-gardes architecturales et plus encore du Mouvement moderne dans les trois premières décennies du xxe siècle. Tenue par des historiens ou par des architectes, la critique substitue à la chronique de l'actualité le soutien à des tendances en rupture, dans des revues souvent lancées spécialement pour la promotion de ces mouvements. Même dans les périodiques plus traditionnels (L'Architecture, La Construction moderne, L'Architecte), elle ne peut entièrement s'abstraire de la polémique, tant les affrontements sur la forme, les matériaux, ou le rapport de l'architecture à la tradition sont alors tranchés.

Lors de la remise en cause du Mouvement moderne, une telle critique a été qualifiée d'« opératoire » par l'historien italien Manfredo Tafuri (1935-1994) : elle formule ses jugements non à partir d'une analyse rigoureuse des faits, mais sur des valeurs a priori dictées par les courants qu'elle entend légitimer (Théories et histoire de l'architecture, 1968). De nombreux ouvrages d'historiens (Nikolaus Pevsner, Pioneers of the Modern Movement from William Morris to Walter Gropius, 1936 ; Sigfried Giedion, Espace, temps, architecture, 1941) forment des archétypes de cette critique qui convoque l'histoire à des fins idéologiques. Admettant la nécessité d'un tel engagement en une période de bouleversements architecturaux, Tafuri souligne que cette critique, empirique, ne peut faire appel aux concepts de l'histoire de l'art et de l'esthétique, destinés à l'art du passé et inopérants pour les avant-gardes, qui tentent un dépassement permanent des critères conventionnels d'évaluation des œuvres. C'est précisément l'absence de critères qui est, pour l'architecte et historien Peter Collins (1920-1981), à l'origine d'une « éclipse » de la critique architecturale de la fin de l'Art nouveau à 1940 : il préconise une critique normative, qui permette l'analyse de l'architecture, notamment celle du Mouvement moderne, à l'aune d'un « système de valeurs architecturales » établi avec précision.

Mais la critique militante réfutée par Collins a continué de se développer bien après 1940. Le fonctionnalisme triomphant des années 1920 et 1930 est soumis à une profonde remise en question : humanisme, démarche empirique, influence de la philosophie existentialiste traduisent le rejet du rationalisme et du machinisme dans les pays européens traumatisés par la Seconde Guerre mondiale. La critique d'architecture assume alors un rôle fondamental.

En Grande-Bretagne, le concept de « nouvel empirisme », forgé à partir de l'architecture et de l'urbanisme suédois des années 1940, ou celui de « tradition fonctionnelle » à partir des constructions vernaculaires, sont lancés depuis la plate-forme de révision du fonctionnalisme que constitue à partir de 1947 The Architectural Review.

En Italie, la vitalité des revues d'architecture – Metron (1945-1954) puis Architettura, Cronache e Storia fondée en 1955 par Bruno Zevi (1918-2000), Zodiac (créée en 1957), la nouvelle parution de Casabella, devenue Casabella-Continuità sous la houlette de l'architecte Ernesto N. Rogers en 1953 – traduit l'interdépendance entre reconstruction de la discipline et élaboration d'instruments critiques. Zevi propose ainsi dans Metron une « révision culturelle » des composantes de la « culture architecturale », invoquant une critique historique, à partir des positions de Croce. Pour Rogers, le combat pour la continuité du rationalisme[...]

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Écrit par

  • : docteur en sciences de l'information, université de Paris 2
  • : docteur en histoire de l'art, enseignante à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Val-de-Seine

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