- 1. « Xénocrate » ou l'« invention » de l'histoire de l'art
- 2. Art et savoir (« téchnē/epistémē ») : la revendication des artistes
- 3. Imitation et imagination (« mímēsis/phantasía ») : la leçon des philosophes
- 4. Le modèle de Xénocrate
- 5. La critique des professeurs
- 6. L'art captif
- 7. L'ekphrasis ou l'œuvre absente
- 8. Bibliographie
CRITIQUE D'ART, Antiquité gréco-romaine
Le modèle de Xénocrate
Telle est la démarche suivie par Xénocrate. Mais, à la différence d'autres enquêtes nées aussi du projet aristotélicien, comme la collecte « archéologique » des monuments du passé qui viendra confluer dans la périégèse de Pausanias, Xénocrate, lui-même sculpteur, continue à centrer son analyse sur la personnalité des artistes. Mais il se distingue aussi d'une autre branche du savoir issu des préceptes aristotéliciens, l'enquête biographique qui s'attache au particulier et à l'anecdotique. C'est ainsi que les Vies de peintres de Douris de Samos, connues indirectement par Pline l'Ancien ou Plutarque, proposaient une typologie des vies d'artistes que Vasari réutilise à la Renaissance. Xénocrate, au contraire, est un théoricien. Il cherche à décrire systématiquement la production artistique à l'aide de critères qui définissent une norme idéale posée comme la vérité de l'art. Elle réside pour Xénocrate dans le respect de la mímēsis, dans la reproduction la plus exacte possible de la « nature ». Quatre critères appliqués aux œuvres d'art aboutissent à un palmarès des artistes, conforme à la mentalité agonistique des Grecs : l'exactitude et la précision (acríbeia), la commensurabilité des parties au tout (symmetría), la transmission du mouvement à la figure (rhythmós) et l'expression de l'apparence visuelle (species, phantasía). Avec ce quatrième critère, Xénocrate prend en compte rationnellement les éléments subjectifs de la représentation artistique que Platon refusait. À nos yeux aussi cette recherche d'un illusionnisme tendant vers un effet de réel d'autant plus grand apparaît bien comme une création majeure de l'art grec classique, qui introduit une rupture décisive avec les autres arts de l'Antiquité, jetant les bases d'un mode de représentation naturaliste propre à l'art occidental. L'historien Diodore de Sicile l'avait très bien vu, lorsque, au début de sa Bibliothèque historique(I, xcviii, 5-10), il oppose à la fixité de la mise au carreau des statues égyptiennes la mobilité et l'unicité des œuvres grecques fondées sur l'impression visuelle. Le schéma de Xénocrate représente ce que E. Gombrich a appelé une conception instrumentale de l'art, qui présuppose un progrès et un modèle à atteindre. Cette conception a deux conséquences : le modèle peut varier, le schéma est donc transposable et reproductible dans d'autres cadres esthétiques ; une fois que le modèle est atteint, il ne reste plus qu'une alternative, ou l'imitation ou le déclin. Or, d'emblée, le schéma xénocratéen est passéiste puisqu'il place son idéal artistique dans la génération précédente, avec Lysippe pour la sculpture et Apelle pour la peinture. Que faut-il en déduire ? Xénocrate considérait-il que l'art de sa génération était déjà en déclin ? ou défendait-il de façon polémique un art menacé mais encore vivant ?
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Écrit par
- Agnès ROUVERET : professeur à l'université de Paris X-Nanterre
Classification
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