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CRITIQUE D'ART, Antiquité gréco-romaine

L'art captif

À cela s'ajoutent les modifications profondes du statut des œuvres d'art et des rapports entre les artistes et le public au cours de la période hellénistique. Cette modification se joue en deux temps, correspondant à deux périodes historiques bien précises : l'essor des royaumes issus de la conquête macédonienne puis la conquête par Rome du bassin oriental de la Méditerranée. Avec l'affirmation des royaumes hellénistiques, les impulsions décisives en matière d'art ne viennent plus des cités qui, comme Athènes, tendent à se replier sur le souvenir et l'exaltation des œuvres du passé. Tandis que les produits de l'art se diffusent et se banalisent dans de plus larges couches de la population, grâce à l'essor du luxe des demeures particulières, un art de cour intellectualiste, frivole et raffiné se développe. Il joue souvent, par imitation ou au contraire brouillage des genres, avec les œuvres du passé, qui sont classées, datées, répertoriées par les spécialistes chargés de constituer les grandes collections, les plus fameuses étant celles d'Alexandrie ou de Pergame. C'est de toute cette activité muséographique, qui a son pendant, pour le domaine littéraire, dans les classements savants des grammairiens, que naissent les canons qui viennent confluer dans les ouvrages rhétoriques précédemment cités. Plusieurs classements interviennent. Certains reposent sur une hiérarchie de sujets : représentation d'animaux, d'hommes, de dieux ; d'autres, sur un découpage et une hiérarchie des genres qui aboutit, par exemple, en peinture, à l'opposition entre la megalographia, la peinture noble à sujet mythologique ou historique, et la rhyparographia, le genre bas, comme la nature morte ou les scènes de genre évoquant la vie des petits métiers et le monde du travail. C'est qu'en effet cette période est caractérisée par un double mouvement : une diffusion énorme d'œuvres d'art de styles très différents entraînant un effet d'éclectisme et une tendance à la hiérarchisation des œuvres qu'on ne peut manquer de rapporter – les textes anciens nous y invitent – aux hiérarchies sociales. Il est difficile, par exemple, de ne pas comparer la nouvelle esthétique de la grandeur, liée à la majesté divine, à l'exaltation et à la divinisation de la figure du souverain. Avec le transfert à Rome de l'hégémonie sur le bassin méditerranéen s'ajoute une dimension nouvelle. Les œuvres d'art arrivent en effet en masse comme butin. Elles contribuent donc à exalter la grandeur de la cité conquérante, devenue musée universel. C'est ainsi qu'à la fin de la République le sculpteur Pasitélès recense, dans un traité en cinq volumes, les « œuvres célèbres du monde entier » (opera nobilia in toto orbe), en somme des œuvres « classiques » qu'il s'agit de reproduire. Pasitélès universalise en quelque sorte la vision déjà passéiste de Xénocrate. Statues et tableaux ne sont plus que les pièces fonctionnelles d'un décor, qu'il s'agisse de celui de la ville, promue par Pline l'Ancien en huitième merveille du monde, ou des luxueuses villas des particuliers. Au moment où Pétrone, dans le Satiricon, met en scène une véritable leçon de critique d'art, on peut dire, avec l'un de ses dérisoires héros, que l'art est bien mort. C'est-à-dire l'art tel que le définissait et le théorisait Xénocrate, après deux siècles de créations et de découvertes.

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  • ART NÉO-ATTIQUE (Rome)

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    Au lendemain des guerres puniques, la puissance militaire et diplomatique de Rome s'impose progressivement à l'ensemble du monde méditerranéen. Enrichis par les conquêtes et séduits par les nombreux originaux pillés par les généraux, les Romains et les Italiens recherchent des œuvres d'art...