CRITIQUE D'ART EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
La critique d'art est un « genre littéraire autonome qui a pour objet d'examiner l'art contemporain, d'en apprécier la valeur et d'influencer son cours ». Cette définition – donnée par Albert Dresdner en 1915 dans son ouvrage Die Kunstkritik et adoptée par Pierre Vaisse (Romantisme, 1991) – permet d'isoler de la « littérature d'art » dans son ensemble un genre spécifique qui connaît dans la France du xixe siècle un essor sans précédent. Cet essor est dû à la qualité des artistes qui, attirant l'attention d'autres créateurs, de Stendhal à Huysmans, suscitent des débats esthétiques renouvelés. La fraternité entre les arts, sensible depuis le romantisme, conforte cette association entre l'écriture et l'œuvre plastique. Mais les artistes, par l'engagement social et politique de leur œuvre, provoquent également l'intérêt de témoins étrangers à ces cénacles.
Créé par Colbert en 1667, le Salon, exposition des « artistes vivants », devient au xixe siècle, jusqu'à son éclatement après 1880, une manifestation populaire et suivie, le plus souvent annuelle – occasion de découvertes, de confrontations ou de révisions : « On ne voit que des nez en l'air, des gens qui regardent avec toutes les façons ordinaires et extraordinaires de regarder l'art » (E. et J. de Goncourt, Manette Salomon, 1867). Ces manifestations, comptant au fil des ans un nombre croissant d'exposants, s'enrichissent avec les Expositions universelles d'une participation étrangère importante qui, dès 1855, permet de dresser un panorama pertinent de l'art occidental. Le développement de la presse favorise celui des « salonniers » qui rédigent des feuilletons pour les journaux non spécialisés ou s'adressent, dans les colonnes de L'Artiste à partir de 1831, dans celles de la Gazette des beaux-arts, fondée en 1859 par Charles Blanc, à un public plus averti. Si le xixe siècle n'a certes pas inventé la critique – qui connaît dès l'Antiquité avec l'ekphrasis (« description ») une expression élaborée –, il a cependant fait d'elle, en raison de l'importance et de la variété de ses textes, un acteur essentiel de la vie artistique.
Écrivains et critiques d'art
« salon (faire le). Début littéraire qui pose très bien son homme. » Cette boutade de Flaubert n'est pas qu'une « idée reçue », c'est un constat : de fort nombreux écrivains ont mis cette stratégie en pratique, au point que l'approche de la critique d'art fut longtemps l'affaire des seuls historiens de la littérature. Jusque vers 1890, il n'existe pas vraiment de commentateurs professionnels, d'autant que la vie artistique est centrée sur le Salon. La plupart des « vrais » critiques ont donc aussi fait œuvre littéraire, et bien des écrivains furent des critiques occasionnels, parfois avec bonheur, mêlant souvent à leur jugement des critères littéraires. Ainsi, Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889), commentant en 1864 le Combat des navires Kearsage et Alabama (1864, Museum of Art, Philadelphie), remarque-t-il : « Manet a fait comme Stendhal dans sa bataille de Waterloo, vue par derrière, et dans un seul petit groupe éloigné du champ de bataille. » À une époque où l'histoire de l'art n'est pas encore vraiment une discipline autonome, la critique émane donc moins de ses spécialistes que de spectateurs inspirés, surtout habiles à manier le verbe.
Dans cette longue tradition, le rôle de Diderot (1713-1784) paraît évidemment souverain, et au xixe siècle peu de critiques français se soustraient à cet héritage. L'auteur de l'Essai sur la peinture (1766), rédigé « pour faire suite au Salon de 1765 », a rendu compte pour la Correspondance littéraire de Grimm des expositions[...]
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Écrit par
- Christine PELTRE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université des sciences humaines de Strasbourg
Classification
Médias