CRITIQUE D'ART EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
Un « métier »
Quoique encore imparfaitement définie, dans ses manifestations multiformes, la tâche du critique d'art apparaît vite, au xixe siècle, éloignée de l'« oisiveté officielle », du « perpétuel et volontaire loisir » – spectre que souhaitait conjurer Gustave Planche (1808-1857), l'une des grandes figures de la période romantique. Sa conception d'une « critique consciencieuse et sévère » révèle une « besogne [...] âpre et ardue » dont se précisent, au fil du siècle, les exigences où l'on peut lire la définition d'une technique et l'esquisse d'un profil « professionnel ».
La chronique d' exposition adopte le plus souvent la forme d'une promenade conduisant le lecteur dans l'enfilade des salles, au gré de groupements constitués par le critique. Les commentaires sont distillés dans la presse, parfois sur une longue durée, dans l'esprit des feuilletons littéraires. Même s'ils sont par la suite repris en volumes, il est rare qu'ils échappent à cette conception itinérante et énumérative qui vient enrichir les données du « livret » de l'exposition. Publié sous le titre d'« Explication des ouvrages... », ce répertoire des exposants, livrant avec le nom et l'adresse des artistes celui de leur maître, indiquant de manière plus ou moins développée le sujet des œuvres, constitue la première et indispensable approche critique, dont certains, finalement, s'éloignent peu. Contre ce genre de « guide-ânes », Baudelaire, après le Salon de 1845, élabore une formule qui échappe à la fidélité descriptive. Le Salon de 1846 est en effet composé comme un traité d'esthétique autour de la question de la modernité, tandis que celui de 1859 se rassemble autour de l'imagination. À cette dernière manifestation, Baudelaire fait une seule visite, après cette boutade : « J'écris maintenant un Salon sans l'avoir vu. Mais j'ai un livret. Sauf la fatigue de deviner les tableaux, c'est une excellente méthode [...]. On craint de trop louer et de trop blâmer ; on arrive ainsi à l'impartialité. »
La question des angles de vue, de la présentation que l'on veut accessible ou ambitieuse, répond en fait au souci d'emporter l'adhésion du spectateur-lecteur, devenu omniprésent avec l'inflation du nombre des visiteurs. Le ton importe donc autant que la construction, et certains exploitent des artifices déjà connus. Alexandre Astruc (1835-1907) se souvient de Diderot en introduisant dans Les Quatorze Stations du Salon (1859) un dialogue vivant entre le modèle d'un tableau – La Jeune Fille à l'œillet, d'Hippolyte Flandrin – et le critique. Il recourt souvent à l'humour, spécialité dans laquelle Edmond About (1828-1885) se montre virtuose. Le sens de la dérision, déjà affûté par les brocards assassins de son essai sur La Grèce contemporaine (1854), donne chez lui du relief à une critique bourgeoise assez peu téméraire : « Les tas de cailloux qui bordent les routes attendaient depuis longtemps leur Raphaël : ils l'ont trouvé dans la personne de M. Courbet » (Nos Artistes au Salon de 1857). Provoquer le rire est en effet l'un des atouts de la critique, comme le montre, dans sa traduction figurée, la vogue des Salons caricaturaux.
Le problème de la présentation narrative revêt d'autant plus d'importance que le sujet des œuvres reste la cible principale, même si l'on pressent assez tôt qu'il perdra bientôt sa souveraineté. Ainsi Gustave Planche, au Salon de 1834, exalte-t-il dans les Femmes d'Alger un langage où l'« imagination [n'aide plus] l'habileté du pinceau [...] : c'est de la peinture et rien de plus ». Mais la remarque de Baudelaire, dans le Salon de 1859, pourrait être celle de bien d'autres : « Je[...]
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Écrit par
- Christine PELTRE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université des sciences humaines de Strasbourg
Classification
Médias