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CRITIQUE LITTÉRAIRE

L'expression « critique littéraire » recouvre aujourd'hui deux activités relativement autonomes. Elle désigne d'une part les comptes rendus de livres dans la presse, à la radio, à la télévision : parlons ici de « critique journalistique ». Elle renvoie d'autre part au savoir sur la littérature, aux études littéraires ou à la recherche littéraire : parlons cette fois de « critique universitaire » ou « didactique ». Il s'agira ici de ce second emploi, qui pose de plus sérieux problèmes de définition.

Qu'est-ce que la critique littéraire ?

Ce double emploi est source de confusion. Ainsi la critique journalistique semble plus conforme à l'étymologie du mot, qui signifiait en grec tri, évaluation, jugement (du verbe kríno, juger ; kritikós, juge de la littérature, apparaît au ive siècle avant J.-C., comme distinct de grammatikós, grammairien). Dans la presse, on prononce des jugements sur les livres qui paraissent, on tranche entre les bons et les mauvais. En allemand, récemment encore, Kritik avait ce seul sens journalistique. La critique qui se veut érudite ou scientifique répugne, elle, à porter des jugements, en tout cas explicitement ; à l'université, on fait de la recherche sur la littérature, on décrit, on analyse, on interprète, et l'on dépend des jugements littéraires des autres, ou de soi-même comme autre.

Par ailleurs, la séparation des deux usages de la critique est moderne : on fait de Sainte-Beuve le « premier des critiques », comme si la critique avait commencé avec lui. Or Sainte-Beuve est plutôt l'un des derniers à appartenir aux deux critiques : d'où le reproche, auquel Proust a attaché son nom, d'avoir trop jugé les œuvres et surtout les hommes. Mais un certain discours sur la littérature s'est institué à partir de Sainte-Beuve, qui a cherché à l'expliquer à partir de son contexte d'origine. Quand on dit que la critique date du xixe siècle, on pense au discours historique sur la littérature. En Allemagne, Schleiermacher a fondé alors l'herméneutique philologique sur le présupposé que le sens original d'une œuvre est reconstructible et qu'il est son sens vrai.

Enfin, la critique journalistique porte plutôt sur la littérature contemporaine et la critique didactique sur la littérature du passé, mais sans exclusive. Cette distinction découle des deux précédentes. On juge les œuvres nouvelles, on explique les œuvres anciennes. Le discours historique et philologique sur la littérature s'est formalisé dans la seconde moitié du xixe siècle en Europe et en Amérique du Nord, étendant aux littératures médiévales, classiques et même modernes le modèle d'étude des littératures anciennes. D'où l'idée de deux compétences distinctes – évaluative et descriptive –, renforcée par l'observation que les critiques universitaires se sont presque toujours trompés quand ils ont jugé la production contemporaine.

Marcel Proust - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Marcel Proust

On distingue encore une troisième critique, celle des écrivains. Sans doute est-elle la plus importante. Elle s'écrit parallèlement aux œuvres littéraires, comme chez Henry James ou E. M. Forster, qui n'ont rien à envier aux critiques didactiques pour la sophistication formelle, mais elle est aussi inséparable de la création chez les modernes. Il est devenu banal de rappeler que, depuis Baudelaire, avec Mallarmé, Valéry, Proust, Borges, tout écrivain est aussi ou d'abord un critique.

S'il faut une théorie de la critique – une critique de la critique ou une métacritique – fondant l'objet et le cadre de la critique, sur quels critères s'engager ? L'absence de critères explicites et généralement acceptables est l'une des raisons de l'aspect polémique du champ littéraire, comme si la théorie consistait toujours à trancher entre deux options exagérément opposées : évaluation[...]

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Écrit par

  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
  • : docteur ès lettres, professeur à l'université Columbia, États-Unis

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Marcel Proust - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Marcel Proust

Simone de Beauvoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Simone de Beauvoir

Marc Fumaroli - crédits : Collège de France

Marc Fumaroli

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