CRITIQUE LITTÉRAIRE
Les modèles contextuels ou explicatifs
La philologie
Ce qu'on appelle une « édition critique » – comprenant l'établissement du texte, c'est-à-dire le choix d'un texte de base, l'établissement des variantes par rapport à ce texte de base, et toute l'information disponible sur les différents états du texte – reste fidèle au sens premier du mot « critique », lorsqu'il s'est réintroduit en français au xvie siècle : « grammairien », « critique », « philologue » désignent alors l'éditeur des textes anciens. En anglais, la philologie se nomme encore textual criticism. Il s'agit du modèle le plus ancien et incontestable de la critique littéraire, perpétué depuis la redécouverte des lettres à la Renaissance, étendu aux textes du Moyen Âge au xixe siècle, puis aux littératures classique et moderne. Le principe de la philologie en France demeure le respect de la dernière édition revue par l'auteur, mais on s'intéresse aussi à la version la plus ancienne d'un texte. Nouveau cas de binarisme : l'histoire de la philologie balance entre deux visions finalisées : le respect de l'intention dernière de l'auteur selon une idée classique valorisant l'achèvement, ou le privilège romantique accordé à la première inspiration.
À côté de la critique externe, qui établit le texte, la tradition philologique distingue la critique interne, qui restitue le contexte, car le sens du texte se déduit à ses yeux des circonstances de son apparition. Cet axiome a été formalisé par l' herméneutique philologique, dont Schleiermacher fut le fondateur en Allemagne, expliquant le texte par son contexte d'origine, et postulant qu'on peut reconstruire ce contexte par la discipline historique.
La philologie n'est plus dominante, mais il y a toujours des philologues, même si on ne pense plus à eux en premier quand on parle de critique littéraire. En Italie, Gianfranco Contini, sous le nom de « critique des variantes », entendue au sens large, a renouvelé au xxe siècle les rapports de la critique et de la philologie. En France, la vieille discipline a été réhabilitée sous l'appellation de « critique génétique », laquelle, marquée par l'approche synchronique et structuraliste, s'intéresse moins au produit qu'à la production, à l'édition critique qu'au processus des états du texte, refusant la vision téléologique qui privilégie l'inspiration première ou l'achèvement parfait.
L'histoire littéraire
Le sixième livre de la Poétique de Jules César Scaliger (1561), intitulé Criticus, dresse un tableau comparatif des poètes grecs et latins : dès le xvie siècle, le terme « critique » n'est plus limité à la philologie. Au cours du xviie siècle, en France, la critique se sépare de la grammaire et de la rhétorique, et remplace peu à peu la poétique, sous laquelle on a parlé de la littérature jusque-là. Lié au scepticisme, au refus de l'autorité et des règles, à la défense du goût et aux belles-lettres, la critique, au sens moderne, apparaît avec l'esprit historique, lors de la querelle des Anciens et des Modernes, en réaction contre une théorie rationnelle ou aristotélicienne de la littérature postulant des canons éternels et universels du jugement esthétique. La critique est inséparable du criticisme : dans sa Critique de la faculté de juger, Kant établira la subjectivité du jugement de goût, qui fait cependant appel à un jugement général, au sens commun de l'humanité. À la fin du xviiie siècle, la critique se présente comme une médiation entre la subjectivité du jugement esthétique et l'objectivité du sens commun, et elle est par définition historique. Herder et les frères Schlegel s'interrogent sur le rapport qui existe entre le jugement personnel et l'objectivité[...]
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
- Antoine COMPAGNON : docteur ès lettres, professeur à l'université Columbia, États-Unis
Classification
Médias
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