CRITIQUE LITTÉRAIRE
Les modèles profonds ou interprétatifs
La critique créatrice
Comme la philologie, la critique créatrice est apparue avec le romantisme. L'apologie de l'intuition et de l'empathie, déjà présente chez Herder, était alors dirigée contre le rationalisme classique, non pas contre la critique historique. Il s'agissait de contempler chaque œuvre dans son unicité. Goethe réclamait une « critique des beautés », productive et non destructive. Baudelaire insiste sur la sympathie et voit dans la critique une expression de soi. Mais, dès ses débuts, la critique historique a suscité l'hostilité des écrivains. Flaubert protestait contre Taine : « Il y a autre chose dans l'Art que le milieu où il s'exerce et les antécédents physiologiques de l'ouvrier. Avec ce système-là, on explique la série, mais jamais l'individualité, le fait spécial qu'on est celui-là. » Proust amplifiera cette objection de principe en insistant sur la différence essentielle qui sépare le moi créateur du moi social : à ses yeux, l'artiste n'a rien à voir avec l'homme ; l'intuition créatrice, fondée sur la mémoire et la sensation, avec l'intelligence. Enfin, Bergson et Valéry sont les précurseurs de la critique antipositiviste de l'entre-deux-guerres en France, attachée aux mécanismes de la création.
En Allemagne, alors que l'herméneutique philologique de Schleiermacher, conforme au positivisme français, postulait que la reconstruction du contexte d'origine était possible et suffisante, Dilthey et surtout Husserl voient dans toute œuvre la manifestation d'une conscience. La tâche du critique est de retrouver cette conscience, comme la précompréhension dont l'œuvre est l'explicitation. Pour cela, il n'y a pas d'autre moyen que de répéter le cheminement créateur. En Italie, Benedetto Croce manifeste un antipositivisme semblable, menant au refus de l'évaluation.
La critique des thèmes, de la conscience et des profondeurs
Aux études historiques, qu'il ne juge pas inutiles mais dont il déplore le caractère statique, Albert Thibaudet, marqué par Bergson, veut substituer une analyse du mouvement de la création, par une méthode intuitive et métaphorique. Avec Charles Du Bos, cette mobilité critique devient une soumission métaphysique, voire une communion mystique. Enfin, les critiques de l'école dite de Genève – Albert Béguin, Marcel Raymond, Georges Poulet –, inspirés à la fois par la critique créatrice française et la phénoménologie allemande, parlent de transposition d'un univers mental dans un autre, de saisie d'une conscience par une autre conscience. Cette identification ne se fait pas avec un texte mais avec une conscience, qui n'est accessible qu'à travers la totalité des écrits d'un auteur. Le temps et l'espace sont les catégories privilégiées de l'interprétation. Jean Rousset et Jean Starobinski ont tenté d'intégrer le structuralisme et la psychanalyse à la critique créatrice.
Cette psychologie des profondeurs rejoint la critique thématique française de Gaston Bachelard et de Jean-Pierre Richard, fondée sur l'étude des sensations. La catégorie fondamentale reste l'imaginaire et l'hypothèse essentielle est toujours l'unité d'une conscience créatrice, donc de l'œuvre entière d'un écrivain. Toutes les variantes de la critique interprétative ont en commun l'idée qu'une subjectivité profonde, cohérente et unifiée, préside à la totalité d'une œuvre.
Le modèle existentialiste
La critique existentialiste a préservé les notions d'individu et de subjectivité promues par les écrivains eux-mêmes. Les grandes monographies de Sartre sur Baudelaire, Genet et Flaubert, empruntant au marxisme et à la psychanalyse, maintiennent la primauté de l'homme[...]
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
- Antoine COMPAGNON : docteur ès lettres, professeur à l'université Columbia, États-Unis
Classification
Médias
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