CRITIQUE LITTÉRAIRE
Les modèles textuels ou analytiques
Contre l'histoire littéraire et la critique interprétative se sont violemment dressées, en France, à partir des années 1960, des critiques contestant tout empire du sujet, sous sa forme rationnelle ou transcendantale, cartésienne ou phénoménologique, et lui substituant le primat du langage. Une nouvelle conception du langage, venue de Saussure, qui mettait l'accent sur l'arbitraire de la langue et sur son absence de référentialité, a favorisé une nouvelle conception du sujet, désormais pensé comme assujetti au langage ou à la structure, et de la critique, dénonçant l'intention ou l'intentionnalité, refusant de considérer l'auteur comme une instance présidant au sens. Tout cela, en fait, n'était pas si nouveau. D'une part, la parenté est évidente avec les anciennes rhétorique et poétique ; d'autre part, ce retour au texte avait déjà eu lieu partout ailleurs, depuis plusieurs décennies, mais on l'ignorait dans l'hexagone, en particulier à la Sorbonne.
Rhétorique et poétique
Aristote est l'auteur d'une Rhétorique, ou art du discours public, et d'une Poétique, ou art de l'imitation, qui sont les traités fondamentaux pour toute grammaire du discours ou du texte. Rhétorique et poétique étaient des grammaires prescriptives décrivant tous les discours acceptables dans un genre donné et les offrant comme des modèles à suivre pour produire d'autres discours. La Poétique est une théorie normative des formes de la tragédie et de l'épopée. Cette tradition éminente a été peu à peu démantelée. La rhétorique médiévale, située entre la grammaire et la dialectique dans le trivium des arts libéraux, était encore un art complet du texte. Mais, au cours de la Renaissance et de l'âge classique, peu à peu réduite à une seule de ses cinq parties, elle est devenue un traité des figures et des tropes. À la fin du xixe siècle, elle a été écartée de l'enseignement au profit de la discipline historique.
Le projet d'une science du texte apparu dans les années 1960 renoue avec la tradition aristotélicienne, moins son aspect prescriptif, par la volonté d'atteindre des invariants ou des universaux de la littérature, par le souci généraliste et théorique opposé au relativisme historique et herméneutique dominant depuis Kant et s'attachant aux œuvres et aux écrivains dans leur particularité. Non seulement la nouvelle critique a remis en vigueur le terme « poétique » pour désigner autre chose que la stylistique et prosodie d'un écrivain – la « poétique de Chénier » –, mais Roland Barthes a même contribué, deux ou trois générations après la mort de la rhétorique, à sa réhabilitation en lui consacrant un vade-mecum.
La linguistique saussurienne, le formalisme russe, le New Criticism
Pour le nouveau textualisme français, il y a deux ou trois références plus proches que l'aristotélisme : la linguistique saussurienne, le formalisme russe et le New Criticism anglo-américain, tardivement découverts par une culture littéraire et philosophique parisienne relativement isolée du reste du monde.
Quelques principes, extraits du Cours de linguistique générale de Saussure, sont devenus les articles de foi du structuralisme : l'opposition langue-parole, la conception de la langue comme système de signes, le signe comme opposition de l'image acoustique et du concept (signifiant et signifié), l'arbitraire du signe, la définition du signe comme valeur (comme différence avec les autres signes découpant le monde phénoménal), enfin l'opposition de la synchronie et de la diachronie. Saussure insérait la linguistique dans une sémiologie future qui traiterait des autres systèmes de signes : les principes du saussurianisme vont être ainsi transposés à l'analyse de la littérature et de[...]
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
- Antoine COMPAGNON : docteur ès lettres, professeur à l'université Columbia, États-Unis
Classification
Médias
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