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CROYANCE

Croyance et foi

Le développement des trois acceptions majeures de la croyance – opinion, opiner-juger, assentiment – nous a fait passer de l'époque antique à l'époque classique. Or nous avons feint de croire que ce développement se bornait à exploiter le fonds grec de la notion et des notions avoisinantes. Notre introduction nous avait pourtant mis en présence d'une opposition plus vaste entre deux pôles, dont un seul nous a servi de référence : la croyance-opinion. Nous n'avons donc pas tenu compte du pôle de la croyance-foi, ne pouvant le faire parce que, en dépit des rapports très complexes entre philosophie et théologie depuis les Pères grecs jusqu'aux philosophes du xviiie siècle, philosophie et théologie ont maintenu la distinction des problèmes et des concepts. Une certaine extériorité sémantique a été ainsi préservée entre le concept philosophique d'opinion et le concept religieux et théologique de foi, malgré maintes tentatives pour placer dans une unique échelle des degrés du savoir la série philosophique opinion-science et la série théologique foi-vision. Le xviiie siècle voit naître ce que l'on peut appeler la philosophie de la religion, c'est-à-dire une tentative pour penser les contenus, les attitudes, les modes d'argumenter de la foi religieuse à partir des catégories philosophiques. C'est lorsque la philosophie pense la religion – et la pense à partir d'elle-même – que se pose la question du caractère « raisonnable » de cette dernière. Le titre kantien, La Religion dans les limites de la simple raison, résume toute une époque qui s'ouvre avec les philosophes anglais du xviiie siècle et se clôt avec l'idéalisme allemand de Hegel et de Schelling. Avec ce nouveau cycle, le Glauben entre en philosophie. L'hésitation des traducteurs français entre croyance et foi est à cet égard très significative : le Glauben, pensé philosophiquement, marque, en effet, la conjonction dans un unique vocable de deux problématiques, celle de l'opinion, qui est d'origine philosophique, et celle de la foi, qui est d'origine théologique. C'est pour exprimer cette conjonction que nous dirons croyance-foi, unifiant ainsi les contextes dans lesquels les traducteurs ont opté tantôt pour croyance, tantôt pour foi.

Une étude exhaustive devrait partir des Anglais : nous avons fait une allusion à leur rôle en évoquant plus haut, à propos du belief et du probable chez Hume, la discussion sur le caractère « raisonnable » du christianisme ; c'est tout le débat sur la « religion naturelle » chez Hume et ses prédécesseurs, ses contemporains et ses successeurs, qui devrait être ici évoqué. Nous nous arrêterons plus longuement à Kant, parce que la philosophie critique marque le tournant entre une appréciation purement épistémologique de la croyance, qui la ravale assez bas, et une appréciation d'un nouveau genre, que Kant rattache à la philosophie pratique et qu'il exalte assez haut. Cette double estimation représente un véritable nœud dans la constitution moderne de la notion de croyance.

Kant

La première estimation est l'œuvre de la Critique de la raison pure, dont la tâche est elle-même double : justifier les divers principes de la connaissance et en limiter l'emploi à la sphère de l'expérience ; c'est à ce titre que la croyance est à la fois légitimée et contenue dans les bornes où son usage est valide. À cet égard, le belief humien est soumis à une épreuve critique du point de vue de la confusion du subjectif et de l'objectif qui le caractérise aux yeux d'une philosophie transcendantale, attentive aux conditions de possibilité d'une connaissance objective. Chez Hume, la croyance est à la fois subjective et objective ; on peut en parler en termes de sentiment, mais aussi de probabilité. C'est que, dans la[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

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