CROYANCE
Approche phénoménologique
Le débat entre Kant et Hegel n'épuise le problème philosophique de la croyance que si l'on tient l'équivalence entre croyance et foi pour le dernier développement d'une notion dont on a rappelé plus haut le triple enracinement dans le concept grec de doxa ou opinion, dans le concept stoïcien et cartésien d'assentiment, dans le concept humien de belief. Après l'effondrement de la philosophie hégélienne, peu après la mort de Hegel (dès les années 1840-1845), l'espace est ouvert pour un retour non seulement à Kant, mais au prékantisme.
La phénoménologie de Husserl constitue à cet égard une exploration à nouveaux frais de la croyance-opinion (enrichie par sa traversée des philosophies du sujet issues du Cogito cartésien). À nouveaux frais, en ce sens que la phénoménologie tente d'échapper à l'opposition fondamentale, à savoir l'opposition entre paraître et être, par une méthode appropriée de mise entre parenthèses – ou « réduction » – de toute assertion métaphysique. Les Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique, de 1913, sont à cet égard le document de référence pour une phénoménologie de la croyance, telle qu'elle se donne, sans évaluation critique, ni référence dogmatique. La croyance – que Husserl appelle de nouveau doxa, mais sans l'opposer à une science qui en accuserait l'infirmité – est une structure fondamentale de la visée d'un quelque chose en général, qui fait de toute conscience intentionnelle une conscience de... Le modèle de toute conscience intentionnelle est offert par la conscience perceptive, en deçà du jugement et des énoncés de jugement. C'est au niveau de cette conscience perceptive, qu'il appelle antéprédicative, que Husserl déploie son analyse méticuleuse de la croyance (Idées, I, paragr. 103 sqq.).
Cette analyse regroupe une série de caractères qui modifiait le rapport intentionnel à la fois dans sa face noétique (acte) et dans sa face noématique (corrélat). À des « caractères d'être » du côté noématique correspondent des « caractères doxiques » du côté noétique. Mais il faut bien comprendre « caractères d'être » ; il ne s'agit pas du retour à une ontologie honteuse, mais d'un caractère du visé ou signifié en tant que tel : croire, c'est viser quelque chose comme « étant » ; la croyance mère (Ur-doxa), donc non modifiée, fait aussi correspondre le noème « réel » à la noèse « certitude ». Être certain, c'est poser quelque chose comme étant réellement, c'est-à-dire purement et simplement. Viennent ensuite les modifications de la croyance mère, considérées chacune selon sa structure noético-noématique : ainsi le « possible » (noème) est la corrélation de la « supputation » (noèse) ; le « vraisemblable », de la « conjecture » ; le « problématique », de la « question » ; le « douteux », du « doute ». L'exemple canonique de la perception montre de quelle manière ces modifications s'enchaînent : je perçois quelque chose ; sa présence va de soi ; elle est certaine. Soudain le doute me prend : ne suis-je pas victime d'une illusion ? Puis la chose laisse « supputer » un homme ; mais des supputations contraires interviennent ; que maintenant le poids d'une des possibilités se mette à croître, je « conjecture » alors que c'est un homme. Sur cette série de modifications se greffent des modalités de second degré : je peux biffer d'un trait n'importe quelle modalité qui se trouve ainsi niée (im-possible, im-probable, non-problématique, in-dubitable) ; je peux, au contraire, souligner d'un trait, « confirmer » ces modalités, donc me diriger contre ou pour elles : c'est ce qu'on appelle [...]
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Écrit par
- Paul RICŒUR : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago
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