CROYANCES (sociologie)
Dans son acception la plus simple, la notion de croyance sert à désigner l’adhésion à des idées, des opinions, des valeurs sans qu’une démonstration rationnelle, empirique ou théorique n’ait conduit à l’élaboration et l’adoption des croyances en question. Classiquement donc, la croyance reposerait sur une parole d’autorité, un ouï-dire, des raisons non vérifiées en elles-mêmes : croire, c’est se fier à quelqu’un ou quelque chose (texte, récit, mythe, etc.) indépendamment de faits empiriquement établis ou démontrés. Comme l’écrit Emmanuel Bourdieu : « La croyance précède toujours, pour ainsi dire, les expériences ou les arguments, qu’on invoque, éventuellement pour la justifier. » C’est ainsi que l’on peut comprendre la phrase attribuée à saint Augustin : « credo quia absurdum » (« j’y crois parce que c’est absurde »). Sitôt en effet que des preuves sont produites à l’appui d’une assertion, celle-ci cesserait d’être une croyance pour devenir une vérité.
Les croyances, un inobservable en sciences humaines
Ces définitions simples soulèvent déjà des difficultés. La première, ontologique, tient à la nature même d’une croyance : qu’est-ce qu’une croyance puisqu’elle ne s’observe pas ? Comment prétendre l’appréhender et l’analyser ? Pour Pascal Engel, la croyance nous entraîne dans « l’enfer des connaissances tacites » et alimente le « mythe de l’intériorité » (Jacques Bouveresse) : les croyances sont vues comme un corpus de représentations dans lesquelles on puiserait. Or, pour Marcel Mauss ou Ludwig Wittgenstein, il n’en est rien ; une croyance relève de la grammaire de nos pratiques : c’est dans et par nos pratiques que nos croyances se manifestent. Du coup, cette notion ne nous fait-elle pas courir le risque d’explications circulaires ou tautologiques ? À la question « pourquoi un Grec accomplit-il tel rite ? », on répondra que c’est parce qu’il croit à telle ou telle divinité. Mais comment savoir qu’il y croit si ce n’est parce qu’il accomplit le rite en question ? De plus, on ne sait rien de la force de ces croyances : on peut croire à moitié ou de façon discontinue, croire des choses contradictoires… comme le montre Paul Veyne à propos des mythes grecs.Dans la philosophie pragmatiste, une croyance est fondamentalement une tendance à agir. On ne peut donc in fine isoler un ensemble de croyances sans passer par une opération d’explicitation qui relève du travail d’objectivation distancié d’un observateur extérieur : c’est précisément ce qu’ont longtemps fait ethnologues et sociologues.
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Écrit par
- Romain PUDAL : chargé de recherche en sociologie au C.N.R.S., Centre universitaire de recherches sur l'action publique et le politique, université de Picardie Jules Verne
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