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CRUZ sor JUANA INÉS DE LA (1648-1695)

Juana Ramírez de Asbaje naît dans un village de Nouvelle-Espagne, le Mexique actuel, fille naturelle, reconnue, mais bientôt abandonnée par son père. Remarquablement douée, elle s'instruit seule avec passion grâce à la bibliothèque de son grand-père, fermier latiniste... À huit ans, elle fait des vers. Toute jeune fille, elle est dame d'honneur de la femme du vice-roi de México. Elle subit avec succès un examen devant l'élite intellectuelle de la capitale. Aussi belle et sociable que douée, elle est l'idole de la cour ; mais pauvre, éprise d'étude, elle est difficile à marier : elle fait profession chez les Hiéronymites en 1669. Elle est à la fois une pieuse moniale et la « Dixième Muse » de México grâce aux visites du parloir — tout cela dans la pure tradition espagnole. Sa « cellule » contient livres profanes et sacrés, instruments d'astronomie, etc. Elle écrit et étudie, mais est en butte à la jalousie et aux préjugés. Son premier confesseur l'abandonne, la trouvant trop « mondaine ». En 1690, un évêque ami qui se cache sous le nom de sor Filotea lui demande d'abandonner la culture profane pour les sciences religieuses. Mais, pour Juana, il n'est pas facile de les séparer. Après une période de famine et d'émeute à México, en 1694, elle donne ses biens aux pauvres et renonce à toute activité intellectuelle et mondaine. Ce sacrifice surhumain lui a-t-il été imposé ? Il semble bien que non, mais cela a été discuté. Après un an de pénitence, elle meurt de la peste pour avoir soigné ses sœurs malades.

Sor Juana était très consciente de se trouver dans une situation sociale impossible. Elle a revendiqué pour les femmes le droit à l'étude dans un texte autobiographique, Respuesta a sor Filotea (Réponse à sœur Philothée). Son œuvre est variée, inégale : beaucoup de poèmes de circonstance, mais aussi d'admirables vers d'amour, en particulier des sonnets, et un grand poème philosophique, El Sueño (Le Songe), tentative de percer le secret du monde par l'intuition poétique. Elle écrivit, pour le théâtre profane et sacré, par exemple le bel « auto » Divino Narciso (Divin Narcisse), représentation allégorique du Christ et, pour l'église, des villancicos, une série de poèmes destinés à être chantés lors des fêtes. Elle y met en scène les Indiens, les Noirs, et insuffle à ce genre populaire une vie nouvelle. L'attitude de sor Juana à l'égard de ces populations est plus moderne que celle de certains écrivains éclairés du siècle suivant.

Célèbre dans le monde hispanique, elle a été longtemps mal connue comme écrivain et jugée partialement comme femme, ainsi qu'en témoigne l'étude « psychanalytique » mais peu scientifique de l'historien L. Pfandl. C'est un génie à la fois avorté et accompli. Elle reflète fidèlement son époque tout en la dépassant : Le Songe a trois siècles d'avance. Elle est également très consciente de la spécificité de sa patrie mexicaine. Le monumental essai d'Octavio PazSor Juana Inès de La Cruz o las trampas de la fe (1982) a beaucoup contribué à la redécouverte de cet écrivain atypique.

— Marie-Cécile BÉNASSY

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  • : agrégée de l'Université, maître assistant à l'Institut des hautes études d'Amérique latine, Paris

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