Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CUBISME

La sculpture cubiste

La sculpture cubiste a jusqu'à présent trop peu suscité l'intérêt des historiens de l'art, en raison de deux présupposés essentiels : elle aurait été principalement inventée par des peintres, Picasso notamment, et sa spécificité tiendrait plus à un usage stylistique des principes cubistes élaborés dans la peinture qu'à une authentique recherche conceptuelle ou à de véritables découvertes esthétiques. De fait, une sculpture telle que la Tête de Fernande de Picasso (bronze, 1909, musée Picasso, Paris), dont on fait souvent l'exemple même de ce courant, se révèle un portrait traditionnel, réalisé selon une technique habituelle, mais dont la surface est constituée par un modelé en facettes manifestement inspiré du cubisme analytique en peinture. Cependant, la question des liens entre la sculpture et le cubisme exige d'être aujourd'hui repensée selon une logique différente, qui fait place à un nombre plus important de sculpteurs de différents pays, porteurs des solutions plastiques originales et novatrices. La chronologie doit aussi en être plus étalée qu'on ne le pense de prime abord : elle s'étend des années 1910 jusqu'au début des années 1950.

Comment tous ces artistes, tels Archipenko, Gutfreund, Emil Filla, Henri Laurens, Lipchitz, Gargallo, González ou Zadkine, parmi beaucoup d'autres, ont-ils contribué à rénover la sculpture dès avant 1914 ? Dans quelle mesure leurs recherches, si dissemblables, peuvent-elles être réunies sous le vocable de « cubistes » ? Et en quoi leurs inventions plastiques ont-elles constitué une part significative de la sculpture moderne, voire un passage vers la sculpture abstraite, selon le schéma historiographique utilisé par Alfred Barr dans son exposition fondamentale Cubism and Abstract Art, présentée au MoMA en 1936 ? L'hétérogénéité des voies empruntées et la multiplicité des œuvres ne conduit pas tant à mettre en doute l'existence même d'une sculpture cubiste qu'elle n'invite à la comprendre comme une réalité plurielle et multiforme, dans son évolution chronologique comme dans sa spécificité formelle.

Avant 1914, le style cubo-expressionniste

Le cubisme est avant tout une révolution plastique d'ordre pictural, inaugurée par Braque et Picasso dès 1907. Mais ce dernier s'affirme aussi très tôt comme un sculpteur, explorant l'univers tridimensionnel avec une réelle inventivité artistique. De fait, deux versions de la Tête de femme (Fernande) réalisées en 1906 et 1909 révèlent un changement radical : au modelé impressionniste de la première, proche du style de Medardo Rosso (1858-1928), succède une surface creusée de cavités anguleuses, qui place la sculpture à mi-chemin de la ronde-bosse et du relief. Même si elle ne fut jamais exposée à l'époque, cette Tête de femme connut une notoriété européenne. Dès 1910 ou 1911, un exemplaire en bronze figure notamment dans la collection de l'historien d'art pragois, Vincenc Kramar, ce qui explique peut-être son influence sur des sculpteurs hongrois comme Emil Filla (1882-1953) et surtout Otto Gutfreund (1889-1927). Ce dernier passe l'année 1910 à Paris, dans l'atelier de Bourdelle, et développe dès 1911 un changement de style brutal, dont témoigne l'évolution de traitement plastique dans son travail de portraitiste. Sa série de bustes représentant Le Père, (quatre versions en 1911, bronze, Galerie nationale, Prague) le montre passant d'un art figuratif et mimétique à une décomposition du visage par la discontinuité des volumes et la fragmentation des lignes. Son œuvre la plus célèbre, le Buste cubiste (bronze, 1913-1914, Galerie nationale, Prague), associe dans un esprit encore plus libre des formes convexes et concaves aux limites de la non-figuration. La comparaison avec le Développement d'une[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : senior lecturer, université de Birmingham (Royaume-Uni)
  • : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII

Classification

Autres références

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par
    • 6 716 mots
    • 2 médias
    ...au premier rang des arguments déployés pour expliquer l'innovation et convaincre les détracteurs de l'art abstrait. Dans son plaidoyer pour la peinture cubiste, qui sera considérée comme la dernière et indispensable étape avant l'abstraction proprement dite, Apollinaire prédit : « On s'achemine ainsi...
  • AFFICHE

    • Écrit par
    • 6 817 mots
    • 12 médias
    L'art de l'affiche en vient à bouleverser le regard communément porté sur la représentation picturale.Ainsi, à partir de 1910, Braque et Picasso, attentifs à la réalité du quotidien, et en particulier aux trouvailles plastiques de l'affichage mural, inscrivent des lettres peintes au pochoir et...
  • AFRIQUE NOIRE (Arts) - Un foisonnement artistique

    • Écrit par
    • 6 862 mots
    • 6 médias
    À mesure que les pièces affluaient en Europe, l'intérêt pour toutes les productions africaines grandissait, mais il fallut attendre la « découverte » des cubistes pour qu'une véritable mode artistique se développe. Les collections constituées à cette époque ne rendirent pas les services qu'on aurait...
  • ALTMAN NATHAN (1888-1970)

    • Écrit par
    • 447 mots

    Artiste soviétique. Après des études au collège artistique d'Odessa (1903-1907), Altman part en 1910 pour Paris, où il découvre le cubisme. Il rentre dès 1911 en Russie et s'installe à Saint-Pétersbourg, foyer de l'avant-garde russe. Sans se rallier totalement à un mouvement...

  • Afficher les 78 références