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CULPABILITÉ

L'univers morbide de la faute

Si l'angoisse de culpabilité affleure à peine dans certaines civilisations, n'y prenant qu'une forme inchoative ou éludée, il se trouve aussi que, dans les cultures généralement marquées de son signe, elle se dissimule bien souvent, hors des limites de sa symptomatologie manifeste, sous le masque des névroses et psychoses les plus diverses. Dans le vivier clinique où il en guette les modalités, Freud repère notamment les reproches qu'on se fait à soi-même dans la névrose obsessionnelle et dans la mélancolie, les résistances de certains malades face à l'éventualité de la guérison, l'inhibition qui porte à se précipiter dans l'échec, la recherche du châtiment par le recours au crime.

C'est principalement dans le cas de l'Homme aux rats que Freud analyse les conflits, terreurs et contradictions internes de la culpabilité obsessionnelle. La répugnance qu'éprouve le patient à l'évocation d'un supplice sadomasochiste, son anxiété paralysante à propos d'une dette impossible à payer, son débat intime entre la crainte (ou plutôt le désir) de la mort du père et un interdit posé par celui-ci s'éclairent lors de la remémoration d'une scène où l'enfant, durement châtié par ce père et se découvrant soudain une sorte de toute-puissance langagière, avait lancé à la face de celui-ci, en guise d'insultes, car il ignorait les jurons classiques, toutes sortes de termes désignant des ustensiles domestiques. En présence de la rage terrible de son fils, expérience en quelque sorte structurante pour celui-ci par la conjonction de la culpabilité avec cette insolite explosion verbale, le père, bouleversé, avait dit : « Ce petit-là deviendra ou bien un grand homme ou bien un grand criminel. » Adulte, l'Homme aux rats, plutôt lâche, sera un obsessionnel torturé principalement par la peur (qui est le retournement d'un désir sous-jacent) que le père et une femme aimée ne soient soumis à un supplice d'une grande cruauté, de cette cruauté et de cette agressivité si fondamentalement culpabilisées qui l'habitèrent au temps du « complexe nodal de l'enfance » dont Freud dit, à propos de ce cas, qu'il est essentiel « que le père y assume le rôle de l'ennemi dans le domaine sexuel, de celui qui gêne l'activité auto-érotique ».

Un des symptômes où le passage de l'observation à l'analyse permet le mieux d'inférer d'une attitude apparemment sans rapport avec la culpabilité l'action de celle-ci comme motif caché, c'est-à-dire de conclure à l'existence d'un sentiment inconscient de culpabilité, consiste en ce que Freud appelle la « réaction thérapeutique négative » ou résistance à la guérison. Cette attitude fait que, chez certains patients, tout progrès reconnu ou pressenti à une étape donnée du traitement se traduit par une aggravation de leur état. Bien qu'ils ne se sentent alors nullement coupables, mais seulement malades, et même plus malades qu'avant, le psychanalyste est amené à voir dans ce recul de la thérapeutique l'influence « d'un facteur pour ainsi dire moral, d'un sentiment de culpabilité qui trouve sa satisfaction dans la maladie et ne veut pas renoncer au châtiment représenté par la souffrance ». À ce moment où, parti de la simple constatation, chez le patient, d'un refus de guérir, il comprend que le motif profond de cette réaction négative est « un puissant besoin de punition » qu'il lui faut bien « ranger parmi les désirs masochistes », Freud avoue éprouver une « grande surprise », celle de la découverte du caractère inconscient de certains – les plus nombreux et les plus agissants – sentiments de culpabilité. Il revient, en 1924, sur cette trouvaille lorsqu'il écrit : « La troisième forme sous laquelle apparaît le masochisme,[...]

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Écrit par

  • : éditeur en philosophie, histoire des religions, sciences humaines; ancien élève titulaire de l'École pratique des hautes études

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Marcuse - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Marcuse

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