CULTURALISME
Personnalité de base et institutions
Bien que l'héritage freudien ne soit nullement renié, il s'agit, pour Kardiner, de créer un cadre conceptuel suffisamment élaboré pour penser une causalité à double sens : du milieu sur l'individu ; de l'individu sur le milieu. Or Freud et ses disciples ne semblent guère concernés par ces processus de modelage réciproque où s'interpénètrent personnalité et société. Les deux concepts introduits par Kardiner pour comprendre cette interrelation sont ceux d'institution et de personnalité de base.
La culture est ici définie comme l'ensemble des institutions qui assurent la cohérence d'une société. « Une institution, écrit Kardiner, peut être définie comme tout mode établi de pensée ou de comportement observé par un groupe d'individus (c'est-à-dire une société) qui peut être communiqué, c'est-à-dire reconnu par tous, et dont la transgression ou la dérivation crée un trouble chez l'individu ou dans le groupe. » L'homme est un être de besoin, mais ses besoins ne sont pas tous fixés. Un grand nombre d'entre eux varient en fonction des conditions extérieures. L'homme se caractérise, en effet, par son adaptabilité ; et chaque culture détermine les conditions dans lesquelles se trouvent satisfaits des besoins aussi fondamentaux que la faim et la sexualité.
C'est pourquoi les individus vivant dans une même société et soumis à un même ensemble d'institutions partagent, selon Kardiner, le même type de personnalité. Le concept de personnalité de base rend compte de cet impact du social sur le psychique. Est-ce à dire que le moi subit passivement des conditionnements induits par la structure sociale ? L'intérêt de la théorie de Kardiner est de récuser toute détermination univoque de l'ego par l'environnement externe. En effet, s'il est vrai que la personnalité de base est le produit d'un dispositif institutionnel donné, elle apparaît comme productrice d'institutions nouvelles.
Kardiner en vient donc à distinguer deux types distincts d'institutions : les institutions primaires, que rencontre l'individu et auxquelles il doit, bon gré mal gré, s'adapter ; les institutions secondaires, qui résultent dans l'individu de cette personnalité de base qu'il porte en lui. Grâce aux données anthropologiques et psychologiques dont on dispose, il est possible d'inventorier les institutions primaires. Abram Kardiner procède à cet inventaire et retient : la famille, le « nous », les disciplines de base, l'alimentation et le sevrage des nourrissons, la forme que revêtent les soins donnés ou refusés aux enfants, l'éducation anale et les tabous sexuels d'objet ou de but, les techniques de subsistance. Au nombre des institutions secondaires, produites par l'interaction entre les institutions primaires et la personnalité de base, on compte les systèmes de tabous, la religion, le rituel, le folklore et les techniques de pensée. La théorie de Kardiner semble ainsi donner une signification chronologique et biographique à la distinction du primaire et du secondaire.
L'importance de l' enfance apparaît bien dans les analyses comparatives que Kardiner consacre aux Marquisiens et aux Tanala. Chez les premiers, il n'y a pas de système punitif. En l'absence d'une autorité paternelle marquée, l'enfant se développe hors de toute contrainte. Cet aspect de la personnalité de base (sentiment de sécurité à l'égard des hommes) se conjugue à des formes caractéristiques d'anxiété dont la source réside dans un contexte « primaire » bien particulier qui est marqué par les menaces périodiques de disettes dues à la sécheresse, et par la rareté des femmes, qui induit à l'égard de ces dernières un sentiment de frustration.
Les institutions[...]
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Écrit par
- Marc ABELES : ethnologue, chargé de recherche au C.N.R.S.
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