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CULTURE Culture de masse

Les trois âges de la culture de masse

L'Olympe et le bonheur

Il y a en fait trois étapes décisives de la culture de masse. La première (19001930 env.) fait de celle-ci avant tout une culture de divertissement-évasion pour publics populaires. Elle est marquée par l'âge du cinéma muet. Celui-ci est l'héritier du roman-feuilleton du xixe siècle, qui est lui-même l'héritier des légendes et épopées archaïques transcrites dans le cadre réaliste des grandes cités modernes. Aventures échevelées, princes-mendiants, brigands-justiciers, enfants volés, jumeaux ennemis, sosies sont un tissu merveilleux à la limite de l'onirisme. Les films comiques (slapstick comedies) sont les héritiers directs des spectacles clownesques de cirque. Les stars du muet sont des personnages fabuleux, qui dominent le commun des mortels et sont d'une essence mythologique supérieure.

Progressivement, la culture de masse s'étend à des couches sociales toujours plus amples et tend à élargir son public à toute la société ; parallèlement, aux États-Unis d'abord, puis en Europe occidentale, l'élévation du niveau de vie des masses populaires les fait accéder aux premiers stades de l'individualité bourgeoise dans le même moment où elles accèdent au loisir, c'est-à-dire à la possibilité de développer une vie privée. La culture de masse devient alors la culture de l'individu privé, se développant au même rythme que la société technicienne-urbaine-bourgeoise. Le centre actif de la culture de masse devient le cinéma parlant, flanqué de la grande presse périodique, notamment féminine, et de la radio. Les films de Hollywood exaltent la mythologie du bonheur individuel (amour-réussite-bien-être), qui se trouve euphorisée par le happy end. Alors que l'imaginaire de l'époque précédente est marqué par la prédominance du thème de la souffrance et de l'épreuve sur le thème du bonheur, le nouvel imaginaire insuffle une mythologie du bonheur qui surmonte, à la fin du film, tous les obstacles. Cette mythologie fait triompher les thèmes de la jeunesse, de la beauté, de la séduction, gages de l'amour. Grâce aux fards et cosmétiques, à la toilette, à la parure, il est loisible de devenir ou rester jeune, beau, séduisant. En même temps, la culture de masse dérive vers l'imaginaire, les pulsions aventureuses et agressives qui peuvent de moins en moins se satisfaire dans les grandes cités policées et dans la vie de plus en plus organisée et bureaucratisée.

Les stars de l'époque ont une double nature, humaine et surhumaine. Ce ne sont plus les déesses inaccessibles du muet ; par mille aspects familiers, elles ressemblent au commun des mortels et se proposent comme héros-modèles de la civilisation individualiste-hédoniste ; mais elles vivent en même temps à un niveau supérieur d'intensité et de qualité, elles ont une substance divine qui appelle l'adoration, elles incarnent une liberté fabuleuse que les mortels ne peuvent atteindre. Elles se trouvent au carrefour entre la vie idéale et la vie réelle et constituent la grande plaque tournante entre le réel et l'imaginaire. Ainsi la culture de masse réalise les modèles d'évasion et les modèles d'accomplissement de la civilisation bourgeoise dans sa phase ascensionnelle. Cette culture joue dès lors un rôle fonctionnel, intégrateur, au sein des sociétés occidentales. Elle est, en termes marxistes, la superstructure idéologique de la société-civilisation bourgeoise individualiste. Elle tend à détruire les anciennes cultures folkloriques du hic et du nunc, pour leur substituer un nouveau folklore généralisé. Elle est douée d'une force conquérante et se répand dans le monde. Mais, dès qu'elle quitte les sociétés qui lui ont donné naissance, elle joue un rôle différent : ce qui est réaliste et assimilable dans le cadre des sociétés[...]

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Marilyn Monroe - crédits : Keystone Features/ Hulton Archive/ Getty Images

Marilyn Monroe

La Dolce Vita, F. Fellini - crédits : Hulton Archive/ Moviepix/ Getty Images

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