- 1. Deux modèles : Burckhardt, Guizot
- 2. Le monogramme de sociabilité et sa manifestation
- 3. Civilisation et culture littéraire : le vulgaire « illustre »
- 4. Civilité et relativité culturelle. Le pacte social
- 5. Ordre politique, Lumières et « Kultur »
- 6. La civilisation conçue comme actualisation de la culture
- 7. L'exemple de l'art
- 8. Rayonnement et « agalma »
- 9. Le for intérieur du social, foyer latent du rayonnement des civilisations
- 10. Origine de la brillance
- 11. Bibliographie
CULTURE Culture et civilisation
Origine de la brillance
Ainsi retrouvons-nous, généralisée, l'hypothèse avancée par Freud, touchant le narcissisme du langage naissant : « Chez nos enfants et chez les adultes névrosés, comme chez les primitifs, écrivait-il dans Moïse et le monothéisme, nous retrouvons le phénomène mental que nous avons appelé « croyance en la toute-puissance des pensées ». Il s'agit là, à notre avis, d'une surestimation de l'influence que nos facultés mentales – les facultés intellectuelles dans le cas présent – sont capables d'exercer sur le monde extérieur en le modifiant [...]. Toute la magie des mots découle de cette foi [...] comme aussi la conviction du pouvoir lié à la connaissance et à l'énonciation de quelque nom. Nous estimons que la toute-puissance de la pensée exprimait le prix que l'homme attachait au développement du langage qui amena de si extraordinaires progrès des activités intellectuelles. »
Mais nous pouvons faire un pas de plus. « La psychanalyse des individus nous apprend, poursuit Freud, que les impressions les plus précoces recueillies à une époque où l'enfant ne fait encore que balbutier provoquent un jour, sans même resurgir dans le conscient, des effets obsédants. Nous sentons qu'il doit en aller de même quand il s'agit des événements les plus précoces vécus par l'humanité. L'un des effets dus à ces événements serait justement l'apparition du concept d'un seul Dieu tout-puissant ; il s'agit là, il est vrai, d'un souvenir déformé mais malgré tout réel. »
On sait que, dans le langage du mythe adopté par Totem et tabou, l'événement majeur dont a pris origine ce concept de Dieu tout-puissant est celui de la « dévoration » du chef de horde par les frères coalisés. Le recours au mythe, c'est-à-dire la personnification en un récit dramatique des éléments d'un discours, pouvait apparaître indispensable en l'occurrence, pour autant que le langage discursif ne saurait pourvoir à la représentation de ses propres origines. Les dimensions principales de l'analyse n'en sont pas moins claires : si le langage est une puissance – tel est, on vient de le voir, la perception qu'en ont l'enfant et le primitif –, son acquisition doit être ressentie comme une usurpation et, si celle-ci est collective, comme un partage entre les membres du groupe de la substance même de son possesseur initial, s'effectuant en outre par « dévoration », dans le style du cannibalisme primitif naturel à l'assimilation d'une puissance. Mort, l'omnipotent reste cependant aimé ; cet amour entre en conflit avec l'évidence de l'acte accompli ; d'où une culpabilité collective, qui trouve son expression dans l'inscription totémique, matrice des codes futurs.
Mais si le groupe s'est ainsi formé, selon la version freudienne du pacte social, de l'identification des membres de la horde à l'omnipotent dessaisi, nous ne pouvons ni dans la marque de cette communauté, ni dans la figure de l'ancêtre qui la hante et dont cette marque dérive, méconnaître l'insistance du rayonnement qui émanait de lui. Aussi bien, lorsqu'il se « réincarne » par déplacement sur l'image substitutive du « grand homme », s'impose-t-il par ce même éclat solaire dont l'ordalie propre aux temps primitifs et l'invective de Schreber à son Dieu raniment le vestige.
Mais le mythe freudien apporte aussi à la précédente esquisse des œuvres de civilisation une dimension nouvelle.
Notre attention s'était portée d'abord sur l'expression que trouve un type singulier de socialisation dans le style de cohésion de l'œuvre. Nous avions reconnu en outre pour caractéristique d'une telle manifestation le rayonnement dont l'œuvre, en tant qu'œuvre de civilisation, est [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre KAUFMANN : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Médias
Autres références
-
ÉDUCATION / INSTRUCTION, notion d'
- Écrit par Daniel HAMELINE
- 1 299 mots
– « accéder à la culture... » : la culture à laquelle on parvient par l'instruction est rupture avec celle dont on vient, et elle lui est réputée supérieure. -
AFFECTIVITÉ
- Écrit par Marc RICHIR
- 12 228 mots
...siècle par le terme d'affectivité est en réalité propre à toute humanité, c'est-à-dire, dans la mesure où il n'y a pas d'humanité sans culture – sans institution symbolique d'humanité –, propre à toute culture. L'affectivité, pour autant qu'elle désigne « la chose même » à débattre,... -
AFRIQUE (Histoire) - Préhistoire
- Écrit par Augustin HOLL
- 6 326 mots
- 3 médias
...archéologique se concentre sur l'étude des produits des activités hominidés/humaines et vise à comprendre les modes de vie et leurs transformations dans le temps. L'idée des « origines des cultures humaines » est relativement aisée à conceptualiser dans ses dimensions matérielles : la culture commence avec la fabrication... -
ANTHROPOLOGIE
- Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER et Christian GHASARIAN
- 16 158 mots
- 1 média
...réflexion sur la culture et sur la société, cette dualité devant conduire à deux courants de pensée complémentaires et parfois opposés. Lorsque la notion de culture rejoignit celle de civilisation (sans qu'une hiérarchie fût présupposée entre l'une et l'autre), l'ethnologie repensa son objet en fonction... - Afficher les 96 références